Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 août 2022 5 19 /08 /août /2022 11:53

LA PATROUILLE DU TEMPS

(GUARDIANS OF TIME)

Poul Anderson

1960

 

Edition J’ai Lu 1982, contenant : La patrouille du temps (The Time Patrol, 1956), Le Grand Roi (Brave to Be a King, 1959), Echec aux Mongols (The Only Game in Town, 1960) et L’autre univers (Delenda Est, 1955). Traduit de l’anglais par Bruno Martin, Michel Deutsch et Roger Durand.

 

Poul Anderson a développé le « cycle » de La patrouille du temps en plusieurs romans et nouvelles. Les quatre textes réunis dans cette édition sont parmi les premiers qu’il consacra à cette série. Résumons : dans le futur, l’homme découvrira le moyen de voyager dans le temps mais cette aventure ne va pas sans risque et une Patrouille du Temps sera créée pour garantir l’existence de la trame historique et empêcher qu’elle ne soit modifiée d’une façon qui entraînerait des conséquences majeures. Anderson postule que des changements mineurs ne modifient pas profondément le fil historique, qui tend à reprendre sa forme initiale ; en revanche, certaines modifications peuvent avoir des effets importants, mettant en danger l’existence même du futur tel qu’il a déjà été vécu. Les héros que mettent en scène ces romans et nouvelles ont donc pour mission d’intervenir dès qu’un tel changement a lieu.

Le protagoniste des quatre nouvelles de cette édition J’ai Lu 1982 est Manse Everard, dont le lecteur fait la connaissance dans La patrouille du temps et qu’il retrouve dans les trois récits suivants, à chaque fois associé à un partenaire différent et transporté dans une époque différente. La patrouille du temps définit le cadre dans lequel se déroulent les aventures des agents : les conditions du voyage dans le temps, la présence des Daneeliens qui, depuis leur époque située plus d’un million d’années dans le futur contrôlent les agissements de la Patrouille, les différents gadgets utilisés par les agents pour mener à bien leur mission (le saute-temps, sorte de moto permettant le voyage, l’arme paralysante). Originaire lui-même du New York de 1954, Everard fait ses premières armes dans cette nouvelle puis est nommé agent non-attaché, libre de voyager d’un point du temps à un autre pour remplir des missions diverses. Qu’il s’agisse de découvrir et de réparer une anomalie dont on a relevé les conséquences dans un temps futur, ou de sauver un explorateur égaré, Everard est l’homme de la situation : dans le recueil, il combat lors des Guerres Puniques pour empêcher les Scipions d’être tués, rencontre le Grand Roi de l’empire perse Cyrus, affronte des Mongols qui en explorant l’Amérique risquent d’altérer profondément l’avenir du monde et découvre un futur radicalement transformé, un « autre univers » qui n’aurait jamais dû exister et qui ne doit pas survivre à la « réparation » dont Everard est chargé.

Menées dans le style space opera, fluide et léger, les aventures de la patrouille du temps constituent un divertissement sans prétention qui conduit le lecteur d’une époque à l’autre, avec une certaine naïveté évidemment aujourd’hui, plus de soixante ans après leur écriture (Star Trek n’existait pas encore), mais un ton primesautier qui conserve aux histoires leur légèreté. Poul Anderson s’amuse avec les paradoxes temporels devenus l’évidence du genre (si je voyage dans le passé et tue mon père, puis-je encore exister pour retourner dans le passé ? ce genre de choses) et l’idée d’univers parallèles constitués par toutes les autres trames possibles, en puisant dans l’Histoire pour donner corps à chaque aventure et en introduisant quelques personnages féminins pour ménager un minimum de romance. C’est malin et ludique, idéal pour faire un peu d’Histoire tout en s’amusant.

Thierry LE PEUT

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
6 août 2022 6 06 /08 /août /2022 11:57

UN AUTRE TAMBOUR

(A DIFFERENT DRUMMER)

William Melvin Kelley

1962

 

Quand un homme ne marche pas du même pas

que ses compagnons,

c’est peut-être parce qu’il entend battre

un autre tambour.

Qu’il accorde donc ses pas à la musique qu’il entend,

quelle qu’en soit la mesure ou l’éloignement.

Henry David Thoreau

(extrait de Walden, traduction Brice Matthieussent, Ed. Le mot et le reste)

 

Publié en France par Casterman en 1965, Un autre tambour a été réédité en 2019 par les éditions Delcourt et repris en 2020 dans la collection 10/18, ce qui permet aujourd’hui sa redécouverte par un large public.

En juin 1957, Tucker Caliban, jeune fermier noir, retourne la terre de son champ et y sème du sel, puis il abat sa vache et son cheval, brûle sa maison et quitte la ville de Willson City avec sa femme et leur bébé. Tout cela sous le regard intrigué d’une poignée d’habitants blancs qui n’y comprennent mais. Dès le lendemain, d’autres Noirs quittent la ville, abandonnant tout derrière eux, et peu à peu ce sont tous les Noirs de l’Etat qui s’en vont, comme s’ils répondaient à un appel. Les Blancs s’interrogent, cherchent à comprendre mais disposent de peu d’éléments pour y parvenir et chacun a son avis sur la question. Le romancier retranscrit leurs conversations et, de chapitre en chapitre, s’intéresse plus particulièrement à certains d’entre eux, livrant une sorte d’anatomie de Willson City.

William Melvin Kelley a situé son roman dans un Etat fictif, coincé entre le Mississippi et l’Alabama, bordé au nord par le Tennessee et au sud par le Golfe du Mexique, ce qui lui permet de donner corps à une histoire ancrée dans un contexte historique précis, et de vider entièrement un Etat entier du sud de toute sa population noire. La plupart des familles montent vers le nord, espérant se loger chez un parent et refaire leur vie là-bas. Aucun, cependant, ne semble savoir exactement pourquoi il part, sinon parce qu’une sorte d’évidence leur souffle que c’est la seule chose à faire. Une évidence qui s’est imposée d’abord à Tucker Caliban, identifié donc comme l’instigateur de cet étrange exode, mais dont le mutisme obstiné ne livre aucune information.

Le Gouverneur de l’Etat se fend d’une déclaration : « Il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Nous n’avons jamais eu besoin d’eux, nous n’avons jamais voulu d’eux et nous nous en passerons fort bien. Le Sud s’en passera fort bien. Quoique notre population s’en trouve diminuée d’un tiers, tout ira très bien. Il nous reste quantité d’hommes de valeur. » (10/18, 2020, p. 14) Les habitants n’en sont pas moins circonspects mais réduits à l’attente, impuissants devant un fait accompli qu’ils sont incapables de comprendre. « Ils avaient tous envie d’y croire. N’ayant pas encore vécu assez longtemps dans un monde dépourvu de visages noirs, ils n’étaient sûrs de rien, mais ils espéraient que tout irait bien et essayaient de se persuader que c’était réellement fini, même s’ils sentaient bien que, pour eux, cela ne faisait que commencer. » (10/18, ibidem)

Kelley ne donne pas le point de vue des Noirs. Chacun des chapitres du roman emprunte celui d’un Blanc ou d’une famille blanche. C’est par leurs yeux donc que l’on assiste au départ de Tucker Caliban, par leurs bouches que sont formulées ensuite les interrogations que suscite l’exode, ses causes, ses conséquences, dans leurs souvenirs que l’auteur va rechercher les événements qui se sont produits avant, reconstituant progressivement sinon un sens du moins une perspective. Le sens de l’événement, son sens profond, échappe à cette enquête, il doit être saisi entre les lignes, là où se dessine la silhouette de Tucker Caliban.

Tucker Caliban est le dernier d’une lignée commencée avec l’Africain, un colosse noir arrivé au port de New Marsails dans un négrier et acquis par l’ancien général confédéré Dewey Willson, propriétaire d’une plantation à Sutton, fondateur de la capitale Willson City à la fin du XIXe siècle. Tucker a travaillé toute sa vie pour les Willson, jusqu’au jour où il a demandé – pour ne pas dire exigé, de sa voix butée, avare de mots – à David Willson de lui vendre le terrain sur lequel travailla jadis le premier des Caliban. Bien qu’il n’ait jamais été fermier, sans la moindre connaissance du travail de la terre, il s’y est installé avec sa femme Bethrah. Sa motivation, il l’a clairement exprimée à David Willson : « Là maintenant, tout ce que je peux dire, c’est que mon bébé travaillera pas pour vous. Il sera son propre maître. On a travaillé pour vous assez longtemps, monsieur Willson. » (10/18, p. 243) Par ces mots, Tucker place l’exode à venir sous le signe de l’émancipation, une émancipation soudaine et radicale : à sa suite, tous les Noirs de l’Etat se soustraient aux conditions de vie qu’ils ont toujours connues dans cet Etat du Sud, ils prennent leur liberté, même si c’est pour se jeter dans l’inconnu, et laissent les Blancs devant le fait accompli.

En racontant l’histoire par le truchement du regard blanc, Kelley confine les Noirs dans une sorte d’étrangeté qui est celle qu’ils ont aux yeux des Blancs. Ils sont là, on est habitué à leur présence, celle-ci revêt un caractère d’évidence mais elle est reste opaque, ce qui n’apparaît que quand on tente de saisir les raisons de leur comportement, ce que les Blancs n’ont, en temps normal, aucune raison de faire. La pluralité des points de vue adoptés – celui de Harry Leland, un homme simple et honnête, de son petit garçon « Monsieur » Leland, de M. Harper l’homme cultivé (il lit le journal), qui a l’autorité de son grand âge, de Bobby-Joe McCollum, à peine vingt ans, pas finaud et finalement le plus dangereux, des différents membres de l’actuelle famille Willson, les plus familiers de Tucker et de sa femme Bethrah – permet de donner à cette étrangeté plusieurs facettes et plusieurs tonalités. Elle révèle ce que chacun de ces Blancs perçoit des Noirs qui les entourent, les limites de leur jugement qui constituent le cadre dans lequel les Noirs « existent » aux yeux des Blancs. Un cadre limité, qui prend rarement en compte la personnalité véritable des Noirs, simplement parce que cette personnalité n’a pas droit de cité et donc, le plus souvent, ne s’exprime pas.

C’est le regard des Willson qui approche le mieux la vérité des Noirs, sans toutefois la livrer entièrement. Les Willson ont vécu au contact des Caliban et de Bethrah, qui n’est venue travailler chez les Willson que récemment et a bientôt épousé Tucker. Elément venu de l’extérieur, étrangère à l’histoire des Caliban tout entière assujettie à celle des Willson, Bethrah est plus accessible, notamment grâce aux confidences qu’elle échange avec la fille des Willson, Dymphna. La personnalité du père, David Willson, se détache bientôt du groupe, ouvrant un second mystère dont on pressent qu’il contient une partie des réponses aux questions soulevées par l’attitude de Tucker Caliban. Mais c’est bien ce dernier qui apparaît comme le « noyau », le cœur opaque de l’événément, puisque l’enquête vise à pénétrer le sens de l’exode dont il a été, dès le début du roman, le déclencheur. Or, sa personnalité résiste à l’enquête, elle ne se laisse saisir qu’à travers les rares paroles qu’il prononce, les actes – souvent incompréhensibles – qui sont toujours rapportés par d’autres. On s’étonne de l’attraction qu’il exerce très vite sur Bethrah, dont la spontanéité et le naturel souriant contrastent avec sa gravité perpétuelle, son air buté, l’agressivité passive qui semble être son mode de communication permanent. Tout chez lui doit être interprété puisqu’il ne s’exprime que rarement, refusant de livrer sa vérité.

Tucker est un homme en colère. Il ne le dit jamais lui-même, pourtant toute son attitude exprime ce sentiment. Une colère rentrée, accumulation de plusieurs générations de servage. Il est incapable de montrer la même soumission que son père John Caliban qui a passé cinquante ans au service des Willson. Sans doute ne l’exprime-t-il pas pour lui-même, il le ressent. Il sait que les choses ne peuvent plus continuer ainsi. La mort du vieux John précipite la rébellion de Tucker. Entendant les mots qu’un ami noir prononce à l’église, en tentant de manière embarrassée de résumer la vie du défunt : « John Caliban était de ces hommes qui se sacrifient toujours pour les autres. C’était un homme bon, un honnête travailleur, une âme noble. » (Folio, p. 163), il se lève, s’indigne, mais ne trouve pas les mots pour aller plus loin : « Se sacrifier ? Est-ce que c’est tout ? Est-ce que c’est vraiment tout ? Au diable le sacrifice ! » Dewey Willson III, dont ce chapitre épouse le point de vue, commente : « Je le vis lever le bras, puis l’abaisser dans un geste de dégoût, comme s’il voulait effacer les mots qui venaient d’être prononcés. » Puis il quitte l’église et se replie dans le mutisme. Bientôt, il achète sa terre, commence à la travailler et, un jour, la quitte.

La scène de l’église cristallise ce qui se joue dans le geste de Tucker, imité ensuite par tous les Noirs de l’Etat. Il n’est plus possible de continuer mais il n’est pas possible non plus de produire un discours capable d’expliquer. La voix des Noirs n’existe pas. Si elle existait, elle ne serait sans doute pas entendue. En tout cas pas comprise. Reste donc le geste, l’acte d’émancipation, qui laisse les Blancs devant leur incompréhension.

Un Noir essaie cependant de comprendre, lui aussi. Il apparaît à Sutton, à l’arrière d’une limousine noire, et commence à interroger les Blancs. Il questionne le petit « Monsieur » Leland, il questionne aussi Dewey Willson III, qui a grandi avec Tucker – sans pour autant le comprendre. Cette figure énigmatique se révèle liée au passé de David Willson, qui recèle un secret. L’énigme, cependant, génère aussi une forme de menace, qui à son tour engendre le drame final, dans lequel l’incompréhension des Blancs tente de se résoudre en explosion de violence.

Un autre tambour propose une réalité alternative et pose un acte qui, pour refondateur qu’il aurait pu être, ne s’est jamais produit. Le roman prend la forme d’une enquête dont les Noirs sont l’objet mais qui ne repose que sur le point de vue des Blancs, exprimé par un auteur noir. Au lieu de faire entendre la voix de la révolte noire, William Melvin Kelley fait entendre le désarroi des Blancs, incapables de saisir le sens comme les enjeux de l’exode brutal des Noirs. En ne laissant aux Noirs que la toile de fond, cependant, et en laissant les Blancs se débrouiller avec leurs points de vue tronqués, face à une opacité irréductible, Kelley donne aussi à ses personnages noirs une liberté et une dignité qui ne se laissent pas saisir. Publié en 1962 par un jeune auteur de 24 ans, Un autre tambour a été célébré comme un grand roman, porté par des accents faulknériens. Oublié en son temps, aujourd’hui redécouvert, il constitue une excellente introduction à l’écriture de Kelley, accessible également à travers d’autres œuvres traduites en français (Jazz à l’âme, Danseurs sur le rivage, Dem).

Thierry LE PEUT

 

 

 

Partager cet article
Repost0
31 décembre 2021 5 31 /12 /décembre /2021 10:15

LES NEUF PRINCES D’AMBRE

Roger Zelazny

1970

 

 

 

 

Commencé à l’orée des années 1970, le Cycle des princes d’Ambre est considéré comme l’œuvre majeure de Roger Zelazny. Poursuivi au fil de dix titres, il s’ouvre avec Les neuf princes d’Ambre, qui expose donc les éléments du Cycle. Un homme revient à lui dans un hôpital (Greenwood), sans souvenir de ce qui l’y a amené ni même de son identité. Il apprend qu’il a été victime d’un grave accident de voiture et qu’il a eu notamment les jambes fracturées ; pourtant, il parvient à se lever, à marcher et même à avoir raison d’un infirmier hostile. Bien qu’il ne sache pas grand-chose des circonstances qui ont précédé son hospitalisation, il soupçonne quelque complot et sent que sa vie est menacée. Apprenant que sa sœur Evelyn l’a fait hospitaliser, c’est chez elle qu’il se rend. Là commence un jeu d’intelligence qui consiste à parler et recueillir des informations sans admettre son amnésie, dans le but de reconstituer peu à peu la vérité qui lui échappe. S’il a été hospitalisé sous le nom d’Earl Corey, il découvre qu’il s’appelle en réalité Corwin, que sa sœur est Flora et non Evelyn, qu’il en a d’autres, ainsi que des frères. Tout ce petit monde (qui ressemble déjà à une foule) est engagé dans une partie d’échec redoutable dont l’enjeu est un trône, mais aussi rien de moins que leur vie et leur mort.

Corwin est en effet l’un des neuf princes d’Ambre. Son frère Eric est sur le point de se faire couronner mais Corwin, avant de perdre la mémoire, lui contestait cet honneur – comme d’ailleurs une partie de leurs frères. Quelle place joue Flora dans la partie, ce n’est pas clair, et Corwin doit se placer sous sa « protection » tout en comprenant qu’elle n’a pas forcément intérêt à le protéger. Mais les révélations ne s’arrêtent pas là : la Terre sur laquelle Corwin a passé manifestement plusieurs siècles (il s’est battu en Russie, a connu Napoléon, entre autres) n’est que l’un des mondes-Ombres, tous dépendants du seul monde réel, Ambre. Pour se rendre à Ambre, il faut emprunter une route dangereuse qui consiste en fait en traversée des Ombres, mais une traversée où chaque faux pas peut être fatal.

Il n’est pas utile de révéler toutes les composantes de l’univers que met en place Zelazny et qui est appelé à connaître de multiples péripéties. La donnée de base est la lutte pour le trône d’Ambre, qui amène Corwin à affronter son frère Eric de façon directe dans ce premier opus, où il reçoit l’aide de certains frères et sœurs tout en devant se garder des autres, certains s’opposant ouvertement à lui, d’autres jouant double jeu (voire plus, selon les circonstances). Zelazny lève le voile progressivement sur l’univers qu’il crée à la faveur de péripéties qui conduisent Corwin à recouvrer la mémoire et à cheminer jusqu’à Ambre où il découvre – contrairement à l’idée initiale qu’il en avait – qu’il est de taille à vaincre Eric. Il n’en faut pas plus pour le pousser à s’allier avec l’un de ses frères et recruter une gigantesque armée constituée de guerriers issus de plusieurs mondes-Ombres afin de tenter le siège d’Ambre. Zelazny conte cette guerre à grands traits, ne s’attardant pas à dépeindre chaque bataille avec force détails mais combinant de vastes manœuvres en quelques pages, pour se concentrer sur son personnage principal.

Le roman est en effet conté par Corwin lui-même, qui partage avec le lecteur ses découvertes et ses réflexions, passant du candide au joueur expérimenté. Car il s’agit bien ici d’un jeu de rôles, illustré par les cartes dont se servent les princes d’Ambre pour entrer en contact les uns avec les autres et – on le découvre en cours de route – passer plus ou moins aisément d’un lieu à un autre. Il leur suffit de regarder intensément les cartes et, pour rompre le contact, de passer la main sur elles. Des échanges sont ainsi possibles entre les différents lieux et les différents niveaux du jeu. Pour corser l’aventure, cependant, Zelazny insiste sur la mortalité de ses personnages ; les princes d’Ambre ne sont pas immortels, ils risquent réellement leur vie dans ce jeu, et Corwin le premier le découvre à ses dépens. On songe un temps à l’effet Game of Thrones (par anticipation, évidemment) en concevant la possibilité que le personnage désigné comme principal puisse mourir avant la fin du roman. Capturé, emprisonné, rendu aveugle, Corwin semble bien près de finir son existence au fond d’un cachot dont son frère le sortira chaque année (tant qu’il vivra) pour l’exposer comme signe de son triomphe.

On ne s’étonne pas que le Cycle ait fait l’objet d’un merchandising : au fil des pages, on imagine bien quels objets, quels personnages, quelles créatures peuvent se décliner en cartes, figurines et autres plateaux permettant aux fans de jouer eux-mêmes la partie délicate qui oppose les princes d’Ambre dans leur guerre pour le trône. Mêlant les époques, les genres (tout commence comme un thriller réaliste avant de basculer dans le fantastique, entre conte, fantasy et science-fiction), les couleurs aussi (les costumes sont très colorés mais également les mondes traversés par les personnages), Zelazny combine les péipéties sur un ton léger et alerte, privilégiant la rapidité et les dialogues vifs plutôt que les grands développements explicatifs. Le lecteur découvre avec Corwin, au fil de l’action, les caractéristiques de l’univers, s’attachant à une galerie de personnages qu’il peut désirer revoir, suffisamment ambigus pour autoriser tous les rebondissements au gré d’alliances dictées par les intérêts changeants des uns et des autres. La multiplicité des mondes-Ombres ouvre le champ à un imaginaire sans limites qui autorise l’auteur à jouer sur tous les tableaux, sans aucune vergogne, avec pour ligne directrice le plaisir de créer et d’étendre son univers.

Au terme du premier volume, des questions restent en suspens, invitant le lecteur conquis à découvrir la suite : qu’est-il arrivé à Random dans le monde de Rebma, sous les eaux ? qu’est-il advenu de Bleys ? quel secret entoure la disparition d’Oberon, le père des neuf princes ? Et ce ne sont là que quelques pistes parmi celles qu’ouvre Zelazny dans ce premier acte. A suivre, donc !

Thierry LE PEUT

 

Partager cet article
Repost0
21 décembre 2021 2 21 /12 /décembre /2021 13:15

LE DEMON DANS MA PEAU (THE KILLER INSIDE ME)

traduit de l’anglais par F. M. Watkins

1275 AMES (POP. 1280)

traduit de l’anglais par Marcel Duhamel

Jim Thompson

1952 et 1964

A lire aussi : Le Criminel

 

 

Ces deux romans de Jim Thompson, publiés à douze ans d’intervalle, présentent quelques points communs : le narrateur est un meurtrier. C’est aussi un flic. Et il tue sans beaucoup d’états d’âme, ce qui peut le rendre candidat à la catégorie du psychopathe. C’est déjà pas mal, comme points communs. Ajoutons quand même que l’un et l’autre travaillent dans une petite ville américaine où ils sont, en apparence du moins, intégrés à l’honnête communauté travailleuse, puisqu’ils sont carrément les garants de la loi et de l’ordre. Ils ont aussi une relation pour le moins compliquée avec les femmes : chacun d’eux en met plusieurs dans son lit mais n’en ressent aucune culpabilité, au contraire, il se sent plutôt victime du sexe faible, plus proche ici du tyran domestique, vampirique et manipulateur, que du sexe faible.

Les deux hommes ont par ailleurs en commun de ne pas savoir exactement pourquoi ils tuent. Ils le font en quelque sorte par nécessité, mais il faut interroger leur psyché pour comprendre d’où leur vient cette nécessité à laquelle ils semblent se plier – victimes, encore – en ayant le sentiment que ce n’est pas leur choix.

Lou Ford, shérif adjoint à Central City, est le narrateur de Le démon dans ma peau. Nick Corey, shérif de Pottsville, est celui de 1275 âmes (1275 dans la traduction tronquée de Marcel Duhamel, publiée en France en 1966 et rééditée plusieurs fois jusqu’en 1998, mais 1280 dans la version originale, dont une nouvelle traduction signée Jean-Paul Gratias a été publiée en 2016 par Payot & Rivages *). D’un titre à l’autre, le tueur est en quelque sorte monté en grade, ce qui augmente l’impunité avec laquelle il officie. Si Lou Ford est rapidement soupçonné puis accusé par son entourage, désigné comme un psychopathe avant la fin du roman, Nick Corey, lui, bien que soupçonné, n’est jamais vraiment puni de ses crimes et reste shérif jusqu’à la dernière page, qui ne donne aucune raison de penser qu’il ne va pas continuer de tuer pour garder son poste. Est-ce à dire qu’en 1964 Jim Thompson a perdu en espoir et gagné en cynisme, c’est-à-dire en lucidité ?

***

« Je savais que j’étais obligé de la tuer », dit le narrateur de Le démon dans ma peau. « Je pouvais en donner la raison en quelques mots. Mais chaque fois que j’y pensais, il me fallait de nouveau chercher le pourquoi. Finalement, ça me revint à l’esprit. Je n’arrivais pas à trouver un moyen de mettre mon projet à exécution car c’était plutôt duraille et je devais sans cesse me rappeler le pourquoi. Finalement, une idée me vint à l’esprit.

J’ai trouvé un moyen, parce qu’il le fallait. Je ne pouvais plus tergiverser. » (édition Folio policier 2002, p. 152)

Il arrive même que le meurtrier ait le sentiment que ce sont ses victimes qui le poussent à le tuer, voire demandent à être tuées, tant le meurtre semble être la conséquence de leur conduite :

« Pourquoi fallait-il qu’ils s’adressent tous à moi pour se faire tuer ? Ils ne pouvaient donc pas se faire ça eux-mêmes ? » (p. 158-159)

Et, quand il tue sa fiancée Lucille Stanton, avec laquelle il a joué le jeu de l’attraction-répulsion pendant la plus grande part du roman, le tueur se demande encore pourquoi tandis qu’il se tient là, debout comme un Ange de la Mort, en avatar du futur Michael Myers de Halloween :

« Elle me vit alors, planté là, sans rien dire, parce que j’avais encore oublié le pourquoi et que je cherchais à m’en souvenir. Et, finalement, ça m’est revenu.

Alors, le samedi 5 avril, un peu avant neuf heures du soir, j’ai tué Lucille Stanton.

A moins qu’on puisse appeler ça un suicide. » (p. 167)

Car Lucille Stanton, du moins dans l’esprit du tueur, a cherché sa mort, elle a provoqué ce qui lui arrive et c’est elle, au fond, qui vient recevoir ce qu’elle a tant désiré. Est-ce la raison du rire diabolique qui secoue le meurtrier à plusieurs reprises alors qu’il tue ?

Lou Ford, en tout cas, en est persuadé : il n’a pas le choix. Une nécessité le pousse, à laquelle il obéit, et il en fait une loi générale :

« On en est tous là ; si on fait ce qu’on fait, c’est qu’on ne peut pas faire autrement. » (p. 170)

L’avocat Billy Bob Walker surgit dans la dernière partie du roman pour aider le meurtrier à faire surgir une vérité tapie au fond de son inconscient. Il l’exprime à sa façon : « Vous aviez besoin de ça pour compenser le violent sentiment de culpabilité tapi au fond de votre inconscient. » (p. 215) Puis c’est Lou Ford qui formule lui-même, une analyse de son propre parcours, en faisant ressurgir le pourquoi qu’il a tant cherché, ou du moins un événement fondateur : « Mon point de départ à moi, c’était la bonne. Mon père avait tout découvert. Tous les gosses font de sacrées bêtises, surtout si quelqu’un de plus âgé les y pousse ;dans ces conditions, ça aurait pu n’avoir aucune importance. Mais l’intervention de mon père en fit un drame affreux. Il s’arrangea pour me donner l’impression que j’avais commis un acte qui ne pourrait jamais m’être pardonné, qui resterait éternellement entre lui et moi, alors qu’il était toute ma famille. Et rien de ce que je pourrais dire ou faire n’y changerait jamais rien. Il m’avait placé sur les épaules un fardeau de honte et de peur dont je ne pourrais jamais me débarrasser. » (p. 195) On comprend alors le sens d’une autre scène, quelque soixante-dix pages plus tôt : « Très vaguement, dans le lointain, j’entendis comme le mugissement d’un fantôme. C’était la sirène de la raffinerie qui annonçait le changement des équipes. Je m’imaginais les ouvriers arrivant à leur boulot et ceux de l’autre équipe qui sortaient à pas pesants. Ils jetaient leur gamelle dans leur voiture et rentraient chez eux. Ils jouaient avec leurs gosses, buvaient de la bière en regardant la télévision et sautaient leur femme… Tout à fait comme si de rien n’était. Comme si un môme n’était pas en train de mourir, et un homme, une moitié d’homme, en tout cas, en train de crever avec lui. » (p. 123) Le dérèglement de Lou Ford trouve son origine dans l’enfance, sa culpabilité dans celle des adultes qui ont irrémédiablement souillé l’enfant qu’il était, le « môme », cette « moitié d’homme », le condamnant à porter un fardeau qu’il n’a jamais pu comprendre, le poussant à reproduire toute sa vie le meurtre de la bonne qui l’avait entraîné dans le péché (le moment de la souillure est conté à demi-mots, les faits comptant moins que l’effet, Joyce Lakeland et Lucille Stanton sont des reflets de cette bonne tapie dans l’enfance), celui du père (le shérif finit par se suicider, pour de bon, lui, lorsqu’il ne peut plus supporter le poids d’une vérité qu’il pense avoir couverte des années durant) ou du fils (Elmer Conway, le fils du Vieux Conway, qu’il assassine après avoir battu à mort Joyce Lakeland, ou Johnnie Pappas, le garçon injustement accusé qu’il « suicide » dans sa cellule).

Coupable ou victime ? Lou Ford est les deux. Il tue, certes, et de façon atroce, mais une part de lui a été tuée il y a longtemps, sans qu’il en ait tout à fait conscience. Question de point de vue, selon l’avocat Billy Bob Walker, qui se souvient qu’il a découvert le fin mot de son métier dans un manuel d’agronomie : « Auparavant, tout ce que je voyais me paraissait noir ou blanc, bon ou mauvais. Mais là, j’ai appris que le nom qu’on attribue à une chose dépend de l’endroit où on est placé et de celui où la chose elle-même se trouve… D’ailleurs, voici la définition, puisée dans ce manuel d’agronomie : ‘Une mauvaise herbe est une herbe qui n’est pas à sa place.’ » (p. 214) Lou Ford est indéniablement une mauvaise herbe, mais le regard que l’on porte sur lui dépend de la position que l’on occupe. Billy Bob Walker le sait coupable et pourtant il le voit comme une victime, tourmenté par un sentiment de culpabilité qui est comme une bête tapie au fond de son inconscient.

Et si le responsable était, en dernier ressort, celui qui a fait l’homme tel qu’il est ? « J’avais tout oublié, et maintenant je résolus de tout oublier encore », déclare Lou Ford. « Il y a des choses qu’il faut oublier si l’on veut continuer à vivre. Et, je ne sais trop pourquoi, je voulais vivre. Plus que jamais. Si le bon Dieu a cafouillé en nous fabriquant, c’est quand il nous a donné envie de vivre alors qu’on n’a pas la moindre raison d’y tenir, à la vie ! » (p. 111) Mais c’est aussi en nous faisant tels que nous sommes, en permettant que soient brisés les mômes et créés les meurtriers psychopathes. Autres coupables : les gens, nous tous en général, qui ne trouvons rien à redire au monde tel qu’il est. « Nous vivons dans un monde bougrement tordu, un monde de salauds et j’ai bien peur que ça ne change pas. Et je vais te dire pourquoi. Parce que personne, presque personne ne trouve rien à y redire. Ils ne voient pas que ça va mal, alors ils ne s’inquiètent pas. » (p. 122)

La vision du monde que dessine Jim Thompson à travers le point de vue de Lou Ford est une vision résolument pessimiste, que ne rachète finalement qu’un espoir ténu, formulé à la fin du roman, celui d’une rédemption dans l’autre monde : « Oui, vraiment, m’est avis que c’est tout ; à moins, espérons-le, que les gens comme nous aient encore leur chance dans l’Autre Monde. Les gens comme nous. Nous autres…

Nous tous qui avons débuté dans la vie avec une tare quelconque, nous qui désirions tant et avons obtenu si peu, nous qui, avec de si bonnes intentions, avons si mal tourné… Nous tous : moi et Joyce Lakeland, Johnnie Pappas et Bob Maples et ce brave Elmer Conway, et la petite Lucille Stanton. Oui, nous tous, souhaitons-le. » (p. 219-220) En exprimant cet espoir, le meurtrier se confond avec ses victimes, comme s’il n’y avait plus de différence, comme s’il était, une fois pour toutes, une victime lui aussi.

***

Nick Corey, le shérif de 1275 âmes, est lui aussi marqué par une enfance contrariée. Il l’évoque une fois, sans y revenir ensuite, sous forme de rêves plus que de souvenirs. « Je rêve que je suis redevenu un gosse et en même temps, j’ai pas l’impression que je rêve. Je suis un gosse, et j’habite dans le vieux bâtiment tout délabré de la plantation. Avec mon papa. Et je tâche de me trouver dans ses pattes le moins possible, mais j’y arrive jamais. Chaque fois qu’il m’attrape, il me flanque des raclées terribles.

Je rêve que je me cache derrière une porte cochère et que je crois m’être débarrassé de lui. Quand, soudain, je me sens agrippé par-derrière.

Je rêve que je pose mon déjeuner sur la table. Et que je n’arrive pas à lever les bras quand il me le jette à la figure. Je rêve que je lui montre… non, je lui montre le prix de lecture que j’ai eu à l’école. Je suis sûr que ça va lui faire plaisir, et puis il faut bien que je le montre à quelqu’un. Et je rêve… non, je me retrouve par terre, après avoir reçu mon prix en pleine figure, une petite coupe d’argent qui m’a mis le nez en sang. Et lui m’injurie, en braillant que je n’irai plus à l’école parce qu’il sait, maintenant, que je suis un hypocrite, en plus de tout le reste.

En fait, il ne supporte pas que je fasse quoi que ce soit de bien. Parce qu’autrement, je ne pourrais pas être l’ignoble petit monstre qui a tué sa propre mère en venant au monde ; et il faut que je sois ça pour qu’il ait quelqu’un à blâmer. » (édition Folio policier 1998, p. 45-46)

L’humanité particulière de Nick Corey s’élargit aussitôt en humanité générale : « A l’heure qu’il est, je ne lui en veux plus guère, parce que j’en ai connu pas mal de son espèce. De ceux qui cherchent une solution facile aux problèmes compliqués. De ceux qui mettent leurs ennuis sur le dos des Juifs ou des gens de couleur. Qui ne sont pas fichus de comprendre que, dans un monde comme le nôtre, c’est forcé qu’il y ait des trucs qui ne tournent pas rond. Et en admettant qu’il y ait une réponse à la question de savoir pourquoi c’est comme ça (et il n’y en a pas toujours), eh bien, ce n’est probablement pas une seule, mais mille réponses. » (p. 46) Et le shérif de délivrer une « morale » qui dessine les contours du monde tel qu’il le voit, un monde compliqué dans lequel il est parfois vain de chercher le pourquoi. Une réponse à l’interrogation récurrente de Lou Ford qui, lui, se posait encore la question du pourquoi ?

De fait, Nick Corey ne semble plus se la poser. Au moment où on le rencontre dans l’uniforme du shérif de Pottsville, allant demander conseil à son confrère Ken Lacey qui fait respecter l’ordre dans plusieurs cantons voisins, il apparaît comme un bon bougre dont le problème principal est qu’il n’est guère respecté comme shérif. On peut le comprendre, au demeurant : Nick Corey considère que la base de son travail, la raison pour laquelle on le lui a confié, et il le répète régulièrement au long du roman, c’est de ne rien faire. Personne ne souhaite vraiment qu’il agisse en shérif, qu’il arrête les gens, qu’il traque les injustices et remplisse les cellules de la prison. Au contraire, tout le monde préfère qu’il ne fasse rien. Et il s’y applique, ça, tout le monde peut le voir : il dort beaucoup, mange beaucoup (tout en déplorant d’être toujours fatigué et de n’avoir pas le temps de manger grand-chose), se plaint de son travail et passe des journées entières à attendre que les heures passent, parfois sans même se donner la peine de se rendre au bureau et encore moins de patrouiller dans les rues de sa ville. Son principal problème, au début du roman, est d’être pris pour un imbécile par deux maquereaux qui entendent bien faire ce qu’ils veulent, ils en ont le droit d’ailleurs puisqu’ils payent le shérif pour cela. Sauf que le shérif n’apprécie pas de se voir moqué en public. C’est mauvais pour son image, et mince, il est quand même le shérif. Il ne faudrait pas que l’on se permette de mettre en question cet état de fait, qui justifie un certain respect.

Durant les six premiers chapitres, Nick Corey est ce pauvre bougre à qui l’on manque de respect et dont se moque également son confrère Ken Lacey, tout en lui donnant du shérif et des tapes dans le dos, mais aussi quelques coups de pied au cul, pour rigoler bien sûr, histoire de lui montrer comment Ken Lacey, lui, règlerait le problème des deux maquereaux. Puis vient le chapitre VII. Et le VIII, qui précise les contours du « projet » que Nick Corey mettra en œuvre dans toute la suite du roman. Quand, de retour à Pottsville, le brave mais triste Nick Corey va directement trouver les deux maquereaux et les refroidit proprement, sans état d’âme, avant de jeter leurs corps dans le fleuve, on se dit soit que le brave gars a changé d’un coup, soit qu’il nous a dupés pendant six chapitres, en se faisant passer pour un couillon. Et on ne tarde pas à comprendre que c’est bel et bien la seconde option qui est la bonne. Nick Corey nous a dupés comme il a dupé tout le monde, ou s’apprête à le faire. Dans les grandes largeurs.

Passons sur les détails, le lecteur ira les découvrir lui-même en parcourant d’un œil fiévreux les quelque 250 pages de 1275 âmes. Donnons plutôt la parole à ce brave shérif, chapitre VIII : « Et je suis obligé de digérer ça sans rien dire pour le moment. Mais ça viendra bien un jour. » (p. 64) Manifestement, le jour est venu.

Car Corey ne se contente pas de prendre dans ses filets cette grande gueule de Ken Lacey qui l’a pris pour un demeuré et qui comprend, trop tard, qu’il s’est fait mener par le bout du nez. A tant chanter sa perspicacité il n’a rien vu venir, et ce n’est pas le lecteur qui le prendra en pitié. Et tel est bien le projet de ce livre : les gens à qui Corey s’en prend au fil des chapitres n’ont rien de sympathique et l’on est aisément tenté de donner raison à l’homme qui met en œuvre le juste châtiment de leur fourberie. Donc à prendre le parti du shérif, d’autant que c’est lui qui raconte l’histoire. Pleurer sur le sort des deux maquereaux et du shérif vantard, méprisant et condescendant ? Pourquoi diable ? Non que l’on trouve beaucoup plus sympathique le shérif lui-même, mais comme on est dans sa tête on peut avoir tendance à le comprendre, sinon à justifier tout ce qu’il fait. Les chapitres VII et VIII ne sont qu’un début. Nick est aussi flanqué d’une femme acariâtre elle-même flanquée d’un frère demeuré dont on soupçonne (avec le shérif, évidemment) qu’il n’est peut-être pas si frère que cela, et que tout demeuré qu’il est, épiant les dames de Pottsville par les fenêtres de leur maison, il n’est peut-être pas non plus un inoffensif impuissant. Et puis il y a Rose et Amy : la première est la maîtresse du shérif, mariée à une brute ivrogne et agressive, la seconde est l’ancienne fiancée, que Nick était sur le point d’épouser quand il s’est fait mettre le grappin dessus par l’acariâtre Myra, qui l’a forcé à l’épouser pour échapper à une accusation de viol qui, à l’époque, se serait résolue en lynchage pur et simple par une populace en colère. Compliqué ? Peut-être mais pas tant que cela. Nick reprend sa liaison avec Amy tout en esquivant les attaques de sa mégère domestique et en composant avec la sexualité insatiable de Rose.

On devine comment le shérif décide de mettre dans l’ordre dans ce joyeux bordel, et le roman met en scène les étapes de ce qu’il faut bien appeler un projet patiemment élaboré, tout à fait conscient et prémédité. A travers les relations de Nick Corey avec son entourage, c’est une vision du monde qui se révèle : « Parce que, entre nous, des convictions, il ne m’en reste plus guère. » (p. 71) Ni sur ses proches ni sur les habitants de Pottsville, « charmante » petite ville peuplée d’hypocrites et, disons-le d’un mot, de coupables. Il suffit au shérif de suggérer quelque vilenie pour que les bons notables baissent le nez, préférant laisser faire le shérif, tout incapable qu’il soit, plutôt que de risquer de voir étalées leurs turpitudes sur la place publique. En quoi ils confirment ce qu’il pense déjà : on ne le paye pas pour dévoiler des vérités mais pour fermer les yeux et ne rien faire. A Robert Lee Jefferson, l’attorney général du canton, quincaillier de son métier, qui s’indigne : « Nick, combien de temps crois-tu pouvoir continuer comme ça ? A ne faire strictement rien ? Tu t’imagines vraiment que ça peut durer ? Tu touches des pots-de-vin, tu voles le canton et tu ne fais rien pour gagner ta paie. », il répond : « Mais justement, si je veux garder ma place, je ne vois pas comment je pourrais en faire plus ! » (p. 77) Et de terminer en faisant son auto-portrait, qui démontre qu’en effet il n’a plus guère de convictions, ni d’illusions : « D’abord, je suis ni honnête, ni courageux, ni travailleur. Et ensuite, les électeurs ne tiennent pas à ce que je le sois. » (p. 78) Même son de cloche quelques chapitres plus loin, dans un dialogue avec sa femme Myra : « Va travailler un peu, pour changer ! – Moi ? Je travaille tout le temps. – Toi ? Pauvre moule, pauvre idiot ! Jamais tu ne fais rien ! – Justement, c’est ça, mon boulot : ne rien faire. C’est comme ça que les gens votent pour moi. » (p. 143) Même quand il discrédite son adversaire aux élections, l’honnête Sam Gaddis, en lançant des rumeurs qui ont vite fait de se propager et de s’amplifier (car, à la vérité, il n’a eu qu’à suggérer des turpitudes cachées, ce sont les gens ensuite qui ont inventé lesdites turpitudes, puisant dans leurs propres fantasmes), le shérif, littéralement, ne fait rien et se dit attristé, « sincèrement » (p. 91), par la nature de ses concitoyens, capables d’inventer des horreurs sans nom et de les colporter sans aucune vergogne. Il n’a pas à faire le travail : les « honnêtes » citoyens le font pour lui.

Une phrase, au détour d’un chapitre, rappelle l’obscure parenté entre Nick Corey et Lou Ford, le policier psychopathe de Le démon dans ma peau : « Ça peut paraître insensé qu’on fasse des choses sans savoir pourquoi, et pourtant, durant presque toute mon existence, c’est ce qui s’est passé. » (p. 100) Comme Lou Ford, Nick Corey a le sentiment de donner à ses victimes ce qu’elles ont bien cherché, et qu’elles méritent, même s’il prétend ne pas savoir pourquoi il agit ainsi. C’est comme une évidence, la conséquence naturelle d’un trop-plein. Ou d’un relativisme qui est le pendant moral d’une éthique de vie définie par une paresse presque professionnelle, elle-même conséquence d’une vision pessimiste de l’humanité qui l’entoure. « Il faut que ce soit fait, pas d’histoires. D’abord, j’ai pas le choix. Moi, j’aurais volontiers laissé courir, endurant de nature comme je suis. Mais il a fallu qu’ils me forcent la main. » (p. 215) Amy, l’ancienne fiancée, aussi raffinée que Rose est une bête sexuelle, a connu un Nick Corey lui aussi plus raffiné, et elle s’étonne de sa transformation : « Tu as de l’éducation, Nick. Pourquoi parles-tu comme un illettré ? » A quoi il répond, fataliste : « L’habitude, j’imagine. On s’encroûte, à force. La langue et la grammaire, c’est comme le reste, ça se rouille. On s’en sert pas – puisqu’il y a pas vraiment de demande – alors on tarde pas à perdre la main. Le bien et le mal, par exemple, on finit par plus savoir ce qu’est l’un et ce qu’est l’autre. » (p. 108) Aveu, ou constat, de décrépitude morale qui affecte tous les aspects de l’existence, de la façade à l’intérieur. Gâchis, aussi, qui rappelle les questions que posait le shérif Maples à Lou Ford dans Le démon dans ma peau : « Pourquoi es-tu resté si longtemps ici ? Pourquoi as-tu voulu porter l’insigne ? Pourquoi n’es-tu pas devenu médecin comme ton papa ? Tu aurais quand même pu faire quelque chose de mieux que ça, dans ta vie ! » (p. 132) Nick Corey et Lou Ford sont deux exemples de promesses non tenues, d’espoirs non réalisés, de capacités brisées ou laissées à l’abandon. Chez l’un comme chez l’autre, le meurtre est le résultat d’une déchéance, ramenée dans Le démon dans ma peau à un traumatisme originel mais, dans 1275 âmes, expliquée davantage par un abandon résigné, une sorte de soumission à un « ordre » extérieur qui n’est rien d’autre que la pauvreté sans fond de l’homme.

Nick Corey a une conscience claire de ce qu’il fait. Et il assume. « Je n’aime que moi, sacré bon sang, et je continuerai à mentir, à tromper, à boire, à forniquer et à aller à l’église le dimanche avec tous les gens respectables. » (p. 138) Cynique, le shérif ? « Je voudrais te poser une seule question », dit encore Robert Lee, l’attorney général. « As-tu, oui ou non, l’intention de commencer à faire respecter la loi ? – Pour sûr ! Je vais m’y mettre carrément, même ! – Enfin, je suis soulagé de te l’entendre dire ! – Parfaitement ! Ce coup-ci, je vais sévir pour de bon ! A partir de maintenant, tous les délinquants auront affaire à moi. A condition, bien sûr, qu’ils soient ou bien des gens de couleur, ou bien de la pauvre racaille de Blancs, enfin, de ceux qu’ont pas de quoi se payer une carte d’électeur. – Voilà une déclaration bien cynique. – Cynique ? Oh ! voyons, Robert Lee ? Quelle raison je pourrais bien avoir d’être cynique ? » (p. 178)

Au fil des pages, la connivence initiale du meurtrier et du lecteur est mise à mal. Car Nick Corey fait aussi des victimes innocentes – si tant est que l’on adhère d’abord à l’idée que ses premières victimes ont mérité leur sort. Une fois qu’il a commencé à tuer, rien ne semble plus pouvoir l’arrêter et il se met à présenter lui-même ses actes comme une mission rien moins que divine. Le personnage bascule alors dans une forme de folie qui le rapproche du Lou Ford de Le démon dans ma peau. « C’est mon métier, oublie pas, de punir les gens pour le simple fait qu’ils sont des êtres humains », dit-il à Rose. « De les amadouer jusqu’à ce qu’ils se montrent tels qu’i’ sont et ensuite de leur tomber dessus. Et c’est un sale boulot, figure-toi, mon loup, et j’estime que le plaisir que je peux trouver à les piéger, je l’ai bougrement mérité. » (p. 234) Il ne s’agit plus de dire que les « autres » le forcent à tuer, mais qu’il existe une sorte de nécessité transcendante qui l’oblige à agir ainsi. Cette nécessité ne tarde plus, alors, à recevoir un nom : « Faut que je continue à être le shérif du canton de Potts pour obéir au Seigneur, pour Le servir, et tout ce qu’i’ fait, Rose, c’est de me désigner les pécheurs, et, moi, j’exerce Ses représailles contre eux. Et je vais te dire un secret, Rose : Bien des fois, je suis pas du tout d’accord avec Lui. » (p. 237-238) Au terme de cette tirade hallucinée, Corey en fournit lui-même l’explication, désespérée : « J’ai mis longtemps à faire le point mais maintenant, ça y est : j’ai finalement trouvé une explication aux choses, parce qu’il fallait que je la trouve, Rose, sans ça, je serais devenu fou. » (p. 239) Et, en dernier ressort, il balaie les doutes qu’il peut encore avoir, car il y va de sa survie, de sa santé mentale : de la folie comme ultime rempart de la santé d’esprit. Il finit par y croire lui-même et trouver dans la prière le renfort à l’action : « J’ai prié avec ferveur et bientôt je me suis repris et mes doutes se sont envolés. J’ai prié de toute mon âme et ma force m’a été rendue (…) »

Un moment de révélation survient juste avant cette confession, moment qui fait écho à la scène de Le démon dans ma peau (p. 123) où le narrateur entrait dans les maisons des ouvriers pour avoir la vision de leur vie ordinaire, où les mômes crevaient dans l’indifférence générale. Ici, c’est Nick Corey qui a la soudaine révélation du vide : « Je suis entré dans cette maison, dans celle-ci et dans des douzaines d’autres pareilles, peut-être plus de cent fois. Mais jamais auparavant je n’avais réalisé ce qu’elles sont. Pas des foyers, pas des endroits où les gens peuvent vivre, non. Exactement rien. Des planches de sapin assemblées autour du vide. Pas de tableaux, pas de livres – rien à regarder, rien pour s’occuper le cerveau. Que du vide, un vide qui, petit à petit, s’infiltre en moi.

Et, tout d’un coup, ce vide n’est pas seulement ici, il est partout, dans toutes les maisons. Et en même temps, il se remplit de bruit, de visions et de fureur, de toutes les choses affreuses et sinistres que ce vide a provoquées.

Les pauvres petites filles sans défense qui pleurent en voyant leur père se glisser dans leur lit. Les hommes qui battent leurs femmes et les femmes qui hurlent des supplications. Les gosses qui pissent au lit, d’angoisse et de peur, et leurs mères qui les punissent en les aspergeant de poivre rouge. Les visages hâves, hagards, ravagés par le ténia et le scorbut. La sous-alimentation, les dettes toujours plus fortes que le crédit. La hantise, comment on va manger, où on va dormir, comment on va couvrir nos pauvres culs tout nus. Le genre d’obsession qui fait que, quand on n’a rien d’autre dans la tête, mieux vaut être mort. Parce que c’est le vide des idées, quand on est déjà mort en dedans, et qu’on ne fait plus que répandre la saloperie, la terreur, les larmes, les cris, la torture, la faim et la honte de sa propre mort. De son propre vide.

Je frissonne, en songeant à la grande bonté du Seigneur qui a créé tant d’abominations dans ce monde, afin qu’une chose comme un meurtre paraisse bien bénigne en comparaison. Non, vraiment, c’est miséricordieux, c’est merveilleux de Sa part. » (p. 225-226)

Vision des Enfers par le truchement d’une fenêtre. Mais cet enfer, c’est le monde tel qu’il est, tel en tout cas que le voit Nick Corey, influencé par une Amérique de la Dépression (le roman a été publié en 1964 mais on s’y déplace en carrioles à cheval et l’on vit dans des maisons de bois ici comparées à des cercueils vides) mais extensible à l’humanité de tous les temps. Misère, souffrance, dénuement, cris, hurlements, désespoir. Après une telle révélation, quelle issue ? Pour Corey, c’est la mission divine. Et de le réaffirmer dans la dernière page du roman : « Sans ça, pour l’amour du Ciel, pour l’amour de Dieu, pourquoi est-ce que j’aurais été mis ici, dans le canton de Potts, et pourquoi j’y resterais ? C’est l’évidence même. Qui d’autre que le Christ tout-puissant serait capable de supporter une chose pareille ? » (p. 248) Le shérif psychopathe devient rien moins que le Christ, envoyé sur la Terre pour laver les péchés de l’humanité, en commençant par les endosser. Car s’il a une certitude à la fin du roman, c’est celle-ci : « J’ai réfléchi, réfléchi et réfléchi encore et, finalement, j’y suis arrivé : j’ai décidé que je sais pas plus ce que je dois faire que n’importe quel autre minable échantillon de l’espèce humaine. » (p. 248)

Et si le ton de 1275 âmes est aussi allègre que désespéré, c’est peut-être parce qu’il n’y a plus rien d’autre à faire, quand on a de la vie cette vision terrifiante et sans appel. Est-ce Nick Corey ou Jim Thompson qui s’écrie : « Et qu’est-ce qu’on peut faire d’autre, à part rigoler et blaguer… Comment, autrement, supporterait-on l’insupportable ? » (p. 209-210)

Thierry LE PEUT

21 décembre 2021, 10 h 08 – 13 h 14

 

* Hélas, cher lecteur, c’est la traduction de Marcel Duhamel que j’ai lue, car ces lectures se font au gré des rencontres, et c’est en Folio policier que j’ai découvert 1275 âmes. J.P. Gratias, un jour peut-être, tu finiras sur mon étagère !

 

Partager cet article
Repost0
12 décembre 2021 7 12 /12 /décembre /2021 16:25

LE CRIMINEL

Jim Thompson

1953

A lire aussi : Jim Thompson, que faire d'autre sinon rire ?

 

Le Criminel de Jim Thompson n’est pas, paraît-il, un roman très connu. Il n’est pas considéré en tout cas comme le plus célèbre de son auteur ; Michael McCauley, dans Jim Thompson, Coucher avec le diable, le qualifie de « roman très sous-estimé de Thompson ». Pourtant, il a des allures de classique.

Autant, évidemment, préciser ce que j’entends par « classique », parce qu’après tout vous avez sans doute vous aussi votre idée de ce qu’on met sous cette étiquette. Pour moi, un classique est un livre simple dans son fond et dans sa forme, qui donne une apparence de limpidité par son intrigue autant que par son style, et dont on dira volontiers que : il n’y a rien à en retirer. Un livre qui exprime une vérité qui, à sa lecture, paraît évidente.

Le Criminel n’est pas tant l’histoire d’un crime, ni celle d’un criminel, que celle d’un processus. Ses quatorze chapitres donnent la parole à neuf personnages différents. L’un est le criminel. Présumé. Et « présumé » est essentiel. On ne saura pas s’il est coupable. Qu’il ne le soit pas est même le plus vraisemblable. Pourtant, coupable, il l’est aux yeux des autres, selon un processus d’une telle simplicité qu’il en devient glaçant. Effrayant.

Robert Talbert est un adolescent que l’on dirait sans histoire. Un gamin normal, enfant tendre et sage entré un jour dans l’adolescence, ce qui aux yeux de ses parents se caractérise d’abord par une sorte d’éloignement. Il s’est mis à moins parler, à montrer moins d’affection, à moins regarder son père comme un héros. Non qu’il se soit rebellé, ou mis à faire des reproches. Quelque chose, simplement, s’est insinué entre ses parents et lui, ou entre les autres et lui, quelque chose qui n’est pas nommé mais qui rend les relations moins innocentes. Une gêne, un malaise, le sentiment d’une incompréhension. Bref, quelque chose comme… l’adolescence.

Josie Eddleman est elle aussi adolescente. S’il fallait la qualifier d’un mot, pour les besoins de ce résumé (qui bien entendu ignore les subtilités du roman), je dirais : aguicheuse. Elle en a la réputation dans le voisinage et même ses parents en sont conscients. Dans notre affaire simplissime, Josie est la victime. Avant d’être assassinée, elle a couché avec Robert. Il n’a rien cherché, c’est plutôt elle qui est venue le chercher, mais il n’a pas dit non. Et puis après…

Après, quoi ? C’est bien la question. Après, l’adolescente a été retrouvée morte. Robert l’a-t-il tuée ? Josie n’a pas voix au chapitre. Robert, oui. Un chapitre, pour tout dire. Les treize autres vont à ses parents, Allen et Martha Talbert, à des journalistes, à un avocat, à un policier, un procureur, un témoin. Chacun livre sa part du récit. Les parts se complètent, mais pas au point de dévoiler la vérité qui, elle, reste insaisissable – ou en tout cas insaisie. On découvre que Robert, s’il ne montre aucune disposition particulière au crime, n’est pas aidé par ses parents, deux spécimens assez antipathiques d’une humanité « ordinaire », plutôt poltronne, insipide et mesquine. Ils ne seront pas les derniers à croire, sans grande résistance, à la culpabilité de leur fils. Après tout, pourquoi pas ? L’amour filial, ici, n’est pas assez fort pour générer une indignation, encore moins un combat. Les parents Talbert sont plutôt du genre à s’apitoyer sur leur sort en se demandant pourquoi cela leur arrive à eux, et pourquoi ils n’ont rien vu venir.

Le « processus » est pris en charge par un procureur trop heureux de faire signer des aveux à un adolescent perdu et insouciant, qui ne comprend pas bien ce qu’on attend de lui et qui est prêt à confirmer ce qu’on lui dictera, et un journaliste que son cynisme et son opportunisme rendent peu scrupuleux. Un journaliste syndiqué, tant qu’à faire : au temps pour la « bonne » conscience syndicale. Chargé d’écrire un article sur l’adolescent dont on ne sait rien, et qui à ce moment-là semble tout simplement à deux doigts d’être relâché, faute d’éléments probants contre lui, ledit journaliste fait ce que lui a suggéré, mais à demi-mots, son rédacteur en chef, lui-même sous l’influence d’un patron de journal cynique, qu’il méprise et qui le méprise. Un rédacteur en chef par ailleurs tourmenté par la maladie de sa femme. Bref, on a là une poignée de gens ordinaires eux aussi : chacun a sa vie, sa perception du monde, ses soucis, ses rancoeurs, et une tendance à rendre les autres responsables de ses problèmes.

La machine est lancée. L’article à charge encourage le procureur à faire avouer à l’adolescent, désormais présumé coupable et non plus présumé innocent, un crime dont on se moque bien, au fond, côté justice comme côté presse, et, plus scandaleux peut-être, côté familles également, de savoir qui l’a réellement commis. Personne ne pleure, sur la victime ou sur le « coupable ». Et tout le monde, au bout du compte, est coupable de quelque chose. Certains se sentent coupables, d’autres pas. L’avocat commis à la défense de l’adolescent connaît les rouages de la machine mais se heurte à l’inconscience de son client, qui ne saisit pas aussi bien les enjeux.

Si tout cela a l’air compliqué, ça ne l’est pas. Au contraire, c’est d’une grande simplicité. Comme dans la vie, où une apparente complexité due à la multiplicité des points de vue et des émotions mises en jeu cache dissimule (à peine) la reproduction de processus qui broient l’humain sans en avoir l’air. On peut voir un scandale dans l’indifférence et le cynisme mêlés qui transforment un adolescent en coupable, mais le roman ne porte pas d’autre jugement que celui qui s’exprime à travers les différentes voix qui se succèdent. Chacune apparaît isolée, et la « machine » accomplit son œuvre non pas mue par une volonté unique mais plutôt parce que personne, justement, ne garantit la justice du processus. Celui-ci est le résultat de volontés qui s’additionnent, se croisent, s’affrontent parfois mais n’empêchent pas l’arbitraire de triompher. Parce que chacun a ses raisons de dire et faire ce qu’il fait, ou au contraire de ne rien dire, de ne rien faire.

Après tout, il ne s’agit que d’un adolescent (le coupable idéal) et d’une adolescente (la victime). Deux êtres humains. L’indignation est laissée au lecteur.

Thierry LE PEUT

 

Partager cet article
Repost0
8 novembre 2021 1 08 /11 /novembre /2021 14:14

LES AVALEURS DE VIDE

Norman Spinrad

1979

 

Un futur déraciné et hyper-connecté

Les vagabonds du Trek errent depuis des siècles dans l’espace. Leurs ancêtres ont assassiné la Terre des générations auparavant et ce qui reste de l’humanité continue d’espérer la découverte, un jour, d’une planète capable d’accueillir la vie. Les avaleurs de vide sont les éclaireurs qui, depuis des siècles, explorent l’univers à la recherche de cette planète de l’espoir. La quête de ces voyageurs du vide est scandée par de nouveaux espoirs qui, jusqu’ici, se sont toujours soldés par des déceptions. Existe-t-il une seule planète, dans l’espace infini, capable d’offrir aux humains un nouveau monde ?

En attendant, les humains ont continué de se développer. Ils ont atteint un degré de connexion qui ferait rêver les ingénieurs d’aujourd’hui. Chaque individu a en effet accès à la subjectivité des autres : il peut se transporter dans leur corps et épouser leur point de vue sur les choses, ressentir leurs émotions. Il a aussi accès aux émotions et aux expériences qu’il a vécues lui-même tout au long de sa vie et dans lesquelles il peut puiser et se replonger à volonté. Des implants chirurgicaux permettent également l’accès instantané à des banques de données qui stockent, en plus de ces émotions et de ces souvenirs, des milliards d’informations. De quoi comprendre, par exemple, une référence littéraire, artistique, historique glissée dans un propos, même si on ne l’a jamais rencontrée soi-même.

Le protagoniste, Jofe D’mahl, est un artiste. Il crée lui-même des expériences sensorielles qu’il partage ensuite avec ses congénères. Lorsque s’ouvre le récit de Norman Spinrad, il a justement réuni une foule d’amateurs lors d’une réception dont le clou est la révélation de sa dernière création, intitulée Les Hollandais Errants. Une méditation sur le sort de cette humanité perdue au milieu des étoiles. Mais la « vedette » lui est volée par une communication des avaleurs de vide, qui révèlent justement ce soir-là qu’ils ont découvert une nouvelle planète susceptible d’accueillir enfin les vestiges de l’humanité. Dépit et colère de Jofe D’mahl débouchent cependant sur un défi inattendu : l’avaleur de vide Haris Bandoora, commandant du vaisseau éclaireur Bela-37, propose à l’artiste d’accompagner la prochaine mission de Bela-37 et de faire une expérience totalement inédite pour lui. L’expérience du vide.

Pour Jofe D’mahl, qui n’a connu que la vie connectée, où l’on n’est jamais seul, l’expérience est la promesse d’une nouvelle création dont le centre sensoriel sera ce contact avec le vide de l’espace. Il en rapportera une œuvre qui compensera peut-être l’échec des Hollandais Errants. Il l’ignore encore mais ce sont pourtant ces Hollandais Errants qui lui ont valu le défi lancé par Bandoora : ce dernier en effet a cru y percevoir une chose qui l’intéresse au plus haut point. Il pense que D’mahl a perçu quelque chose qui le rend apte à comprendre les avaleurs de vide, et à partager le secret que ceux-ci détiennent depuis des siècles, sans pouvoir le livrer aux hommes. Lui, peut-être, pourra le leur dévoiler, s’il trouve le bon vecteur pour y parvenir…

Récit court, développé en quatre chapitres, Les avaleurs de vide met en question le devenir de l’humanité en le plaçant dans un contexte infini : à travers cette question, c’est celle de la vie même que pose le récit. La vie humaine est-elle possible ailleurs ou la Terre est-elle un exemple unique, à l’échelle de l’univers entier, qui jamais ne s’est produit ailleurs, qui jamais ne se reproduira ? A l’heure où la destruction de la planète par l’homme, ou en tout cas la modification sans retour de l’éco-système dans lequel s’est jusqu’ici développée l’humanité, est plus actuelle que jamais, Les avaleurs de vide, qui date de la fin des années 1970 qui vécurent déjà une prise de conscience des dangers que l’homme faisait courir à la planète, propose une réflexion qui ne peut que faire écho aux préoccupations du XXIe siècle commençant. Le motif de l’inter-connexion des individus donne d’autant plus d’acuité à cette fable du futur, notre actualité étant parvenue à développer les outils dont Norman Spinrad imaginait en 1979 qu’ils créeraient plus tard une nouvelle « réalité » humaine.

Thierry LE PEUT

 

Partager cet article
Repost0
2 juillet 2020 4 02 /07 /juillet /2020 10:01

LES TOMBEAUX D’ATUAN

Ursula Le Guin

1968

 

Entre Le Sorcier de Terremer et L’Ultime rivage, le cycle de Ged – l’apprenti sorcier devenu Archimage – passe par Atuan. Ile des pays kargades, Atuan abrite des Tombeaux gardés par des prêtresses (et leurs eunuques), au fond desquels sont les Innommables, divinités redoutées dont le pouvoir doit être contenu et apaisé.

 

Alors que les deux autres livres de Terremer placent Ged au centre (le premier en racontant l’histoire de son point de vue, le second du point de vue du personnage qui l’accompagne dans son voyage), Les Tombeaux d’Atuan adopte le point de vue de Tenar, une enfant choisie pour devenir la nouvelle grande prêtresse, ou plutôt reconnue comme la réincarnation de la prêtresse qui, à chaque mort, se perpétue dans le corps d’un enfant qu’il s’agit de trouver pour l’amener à Atuan et lui enseigner les devoirs de sa charge. La petite Tenar, devenue Arha, la Dévorée, au terme d’une cérémonie rituelle, découvre le cadre de sa nouvelle vie et apprend à « retrouver » la mémoire de ses incarnations précédentes.

 

On la suit donc dans ses rapports avec son entourage, les prêtresses Thar et Kossil, l’eunuque Manan, la jeune Penthe, ainsi que dans ses déambulations au cœur des souterrains qui dessinent tout un monde au-dessous du temple, univers ténébreux où se ressent le pouvoir des Innommables et où Arha doit apprendre à se déplacer sans jamais se perdre. Là s’étend en particulier le Labyrinthe, dont chaque tournant doit être mémorisé. Nous vivons avec elle ces situations et ces conversations qui nous sont données avec les sentiments de la petite fille devenant peu à peu adolescente, ses doutes quant au pouvoir et aux croyances qu’elle est destinée à servir, ses soupçons et ses craintes. Thar, froide mais douce, Kossil, servile mais jalouse et dangereuse, Penthe, légère et irrévérencieuse, Manan, protecteur et possessif, forment la galerie de personnages au milieu desquels Tenar – Arha doit apprendre à se mouvoir aussi habilement que dans les galeries souterraines.

 

En nous enfermant dans le point de vue d’Arha, Ursula Le Guin fait de nous des emmurés au même titre que son personnage. De l’extérieur nous ne voyons rien, ne savons que ce qu’Arha en entend dire. Les sorciers sont des êtres lointains, tenus pour des imposteurs, détenteurs de faux pouvoirs. Les Rois des Kargades sont craints et vénérés comme des dieux mais eux aussi paraissent lointains, même si leur pouvoir englobe Atuan. La foi des prêtresses apparaît ainsi subordonnée au pouvoir des Dieux-Rois, qui sont une menace latente. Cette menace s’exprime à travers Kossil, chargée de « veiller » sur Arha, mais placée de fait au service des Dieux-Rois : de veiller à surveiller, il n’y a qu’un glissement lexical qui s’effectue au fil des chapitres, à mesure qu’Arha prend conscience des réalités qui l’entourent.

 

Les premiers chapitres du livre nous font ainsi appréhender le monde d’Arha à mesure que celle-ci grandit et apprécie avec plus de finesse la complexité de sa situation.

 

Quand Ged fait son apparition dans le récit, il n’est qu’une ombre révélée dans les cavernes souterraines par la lumière surnaturelle que produit son bâton de sorcier. Etranger, il est une menace : c’est un homme, et nul homme n’est autorisé dans les souterrains ; c’est un sorcier, et les sorciers sont assimilés à des ennemis, trompeurs et voleurs ; homme et sorcier, il n’est pas à sa place à cet endroit et Arha aussitôt entreprend de l’y enfermer pour toujours. Tout intrus doit être mis à mort et son sang offert aux Innommables. Mais comment ne pas être intriguée par cet inconnu qui apparaît à Arha seule alors qu’elle se trouve dans un lieu ouvert à nul autre, avec pour seule compagnie ses propres sentiments, ses questionnements les plus intimes ? Ce n’est pas seulement le premier étranger et le premier sorcier que rencontre Arha, c’est aussi le premier homme. Aussi veut-elle l’observer avant de le tuer, et les ouvertures secrètes pratiquées dans les murs et dans les sols l’y autorisent, sans être vue. Elle empêche donc le sorcier de sortir mais elle ne le tue pas. Elle regarde, elle cherche à comprendre, peu à peu elle protège tout en gardant sous son contrôle, et ce secret la sépare de son environnement habituel, l’amène à se défier, à se détacher. Quand enfin elle parle avec le sorcier, elle a déjà, sans en être consciente, rompu l’attache qui faisait d’elle la prêtresse d’Atuan. Elle s’est ouverte à l’Autre, et au monde dont il vient, à tout ce qui est extérieur à son univers jusque là confiné.

 

Les Tombeaux d’Atuan est le récit de cette ouverture, le récit d’une conscience. Dans la relation ambiguë qui se tisse entre la prêtresse et le sorcier, il y a aussi une dimension simplement humaine, sensuelle, qui ne se révèle pas telle quelle à Arha mais qui est sensible dans le récit.

 

La part que prend Ged dans le récit est le reflet de cette ouverture qui se fait pas à pas. Des histoires entendues à l’ombre mystérieuse aperçue dans les ténèbres, de l’étranger à l’homme que l’on peut nommer et questionner, de l’inconnu à l’ami, de l’ennemi au complice. Le monde d’Arha s’en trouve bouleversé et le retour en arrière n’est plus possible.

 

Si le pouvoir ténébreux des Innommables est constamment présent dans le récit, il constitue cependant une force invisible, qui existe dans l’esprit des personnages plus qu’elle ne se manifeste réellement. Ged fait le lien entre cette puissance enfouie et l’Ombre qu’il a affrontée par le passé, en un combat qui a laissé sa marque sur son visage sombre sous la forme d’une balafre (Ged a la peau sombre, comme ceux qui vivent plus à l’ouest, tandis qu’Arha a la peau blanche). Tentée de croire qu’au fond le pouvoir des Innommables n’est pas si grand, Arha apprend du sorcier qu’il est bien réel, puisqu’il emploie presque toute sa force à le contenir, pour ne pas être englouti. Ce pouvoir, dit-il, doit rester enfoui sous la terre d’Atuan et l’on retrouve, ici, le combat entre la lumière et les ténèbres qui occupe aussi les deux autres livres de Terremer, et que Ged aura eu à mener durant toute sa vie.

 

Mais que diable le sorcier de Terremer est-il venu faire dans ces souterrains ? Il cherche l’Anneau d’Erreth-Akbe, dont une vieille femme lui a donné la moitié lors de son errance du Sorcier de Terremer, une vieille femme dont l’histoire nous est révélée au cours de ce livre II. L’autre moitié se trouve dans les trésors cachés des souterrains d’Atuan. Reconstitué, l’Anneau permettra de rendre à Terremer l’équilibre du pouvoir, perdu lorsque l’Anneau fut brisé et ses deux parties séparées. Ged veut le porter à Havnor, dans les terres du Milieu, où le retour d’un roi permettrait de lier à nouveau Terremer sous une seule autorité bienveillante. Ce retour à l’équilibre sera au cœur du troisième livre, L’Ultime rivage, dont le jeune « héros », accompagnant Ged dans son voyage, sera ce roi attendu. L’Anneau d’Erreh-Akbe, évoqué dans le livre I, retrouvé dans le livre II, sera de nouveau invoqué dans l’ultime aventure. En attendant, Les Tombeaux d’Atuan raconte son histoire et la façon dont il fut reconstitué, lors du passage de Ged dans les souterrains d’Atuan, où il dut affronter le pouvoir des Innommables et où il faillit mourir, où il rencontra, aussi, la jeune Tenar.

 

Les Tombeaux d’Atuan, par sa sensibilité autant que par l’unité de temps, de lieu et d’action qui en fait une sorte de micro-récit, par contraste avec les « odyssées » mises en scène dans les deux livres qui l’encadrent, est le cœur de Terremer. Ce sentiment de calme, de maîtrise, de sagesse qui émane des récits d’Ursula Le Guin s’y exprime d’autant mieux qu’il épouse les mouvements de l’âme de Tenar, une jeune fille capable de sombres pensées mais fondamentalement innocente, qui reste pure malgré la corruption et les ténèbres qui l’entourent.

Thierry LE PEUT

 

Partager cet article
Repost0
27 juin 2020 6 27 /06 /juin /2020 12:19

LE SORCIER DE TERREMER

Ursula Le Guin

1968

 

En 1968, Ursula Le Guin publia les trois courts romans du cycle de Terremer : Le Sorcier de Terremer, Les Tombeaux d’Atuan et L’Ultime rivage. Le premier titre raconte l’enfance et l’adolescence d’Epervier, d’abord appelé Dan, un enfant élevé dans un village de l’île de Gont bientôt attaqué par les terribles guerriers kargades. De sa tante, l’enfant tient quelques rudiments de sorcellerie qui lui permettent de sauver son village entier et révèlent l’ampleur de ses pouvoirs, attirant l’attention du sorcier Ogion qui le prend chez lui pour faire son apprentissage.

 

Poussé par une fille du voisinage, Epervier prononce un jour des incantations destinées à appeler un esprit du monde des morts ; il n’est pas prêt à maîtriser une telle science et Ogion doit intervenir pour refermer le passage qu’il a ouvert, et par lequel s’est glissée une ombre. Celle-ci n’est que le prélude à une menace qui, plus tard, se jettera sur Epervier et le conduira à fuir puis à se retourner pour affronter un danger qui jamais ne le laissera en paix. Entre-temps, l’enfant aura gagné Roke, l’île des sorciers, et intégré la Grande Maison, l’école de sorcellerie. L’étendue de son pouvoir s’y confirme mais aussi un orgueil qui le pousse, de nouveau, à invoquer les morts. Cette fois, l’incident cause la mort de l’Archimage, presque celle d’Epervier et oblige bientôt celui-ci à fuir. Car une ombre venue de l’autre côté est désormais liée à lui et elle le retrouvera partout où il ira, pour s’emparer de lui et absorber son pouvoir et sa vie.

 

C’est le point de départ de l’errance, d’abord fuite puis poursuite, que raconte dès lors Le Sorcier de Terremer. Epervier – dont le nom véritable est Ged – tente d’échapper à l’ombre avant de comprendre que la fuite est vaine et que, de surcroît, elle le rend plus vulnérable aux attaques de son ennemi ténébreux, qui peu à peu épouse sa forme et se déplace dans le monde sous des traits qui lui ressemblent. Dans son errance, Ged traversera maints endroits et rencontrera des ennemis comme des amis, dont un l’accompagnera dans la dernière étape de son périple, aux limites du monde connu, au seuil du monde des morts, où il devra affronter son ennemi, au péril de sa vie.

 

Le Sorcier de Terremer pose les bases de l’univers de Terremer. L’Ultime rivage reprendra plusieurs éléments du roman inaugural (notamment la première rencontre entre l’enfant et l’Archimage dans la cour de la fontaine, le périple et l’affrontement final au pays des morts), avec lequel il forme un diptyque. Ged l’enfant (il n’a que dix-neuf ans au terme du roman) deviendra Ged l’Archimage, le plus puissant sorcier de Terremer, et instruira un jeune homme comme lui-même est instruit dans Le Sorcier de Terremer.

 

On se familiarise avec les lieux et la sorcellerie de Terremer. On découvre l’importance du nom des choses, qui donne aux sorciers le pouvoir de les contrôler – et à leurs ennemis le pouvoir de les contrôler, eux. Le nom est l’identité de l’individu. Il ne doit pas être prononcé à la légère. Dan n’est que le nom donné à l’enfant par sa mère ; Epervier est le surnom qui lui est donné à cause de son pouvoir sur les animaux, notamment un faucon ; Ged, enfin, est son nom véritable, qui lui est révélé au cours de son apprentissage et qui, prononcé par l’Ombre, donnera à celle-ci un terrible pouvoir sur l’apprenti sorcier.

 

Ged fait ici l’apprentissage de son pouvoir mais aussi de la vie, et en particulier des relations avec son entourage. Confiance et défiance, prudence et témérité, attirance et répulsion sont les refuges ou les écueils qui l’attendent à mesure qu’il avance, qu’il quitte son île natale et découvre le monde, qu’il prend conscience de ses possibilités et de la responsabilité qu’elles impliquent. L’orgueil et la vulnérabilité de la jeunesse contrastent avec la sagesse des aînés, qui se révèle indispensable pour maintenir l’Equilibre du monde, un équilibre précaire que la magie permet de préserver mais qu’elle menace également.

 

Au fil de l’aventure, l’auteur anticipe aussi sur les titres à venir, évoquant les tombeaux d’Atuan et la vieillesse de Ged, dont la vie inspirera des chansons qui le rendront célèbre dans tout Terremer, laissant désirer aussi des découvertes qui viendront plus tard, comme la rencontre avec le peuple qui vit sur des radeaux sur la Mer Ouverte (voir L’Ultime rivage). On assiste en outre à la construction du bateau Voitloin qui conduit Ged au stade ultime de son périple et qui sera le véhicule de son dernier voyage dans L’Ultime rivage. Et l’on s’envole avec Ged devenu faucon grâce au pouvoir de Changement qui est l’une des sciences des mages. Et l’on rencontre des dragons, créatures connues mais terribles, dont Ged tente de se rendre maître, méritant, peut-être, le titre de Maître des Dragons détenu par d’autres mages.

Thierry LE PEUT

 

Partager cet article
Repost0
22 juin 2020 1 22 /06 /juin /2020 14:33

L’ULTIME RIVAGE

Ursula Le Guin

1968

 

 

L’Ultime rivage est le troisième titre du triptyque Terremer comprenant Le Sorcier de Terremer, Les Tombeaux d’Atuan et L’Ultime rivage. Le Sorcier de Terremer racontait comment Epervier était devenu l’Archimage, L’Ultime rivage raconte son ultime combat. Les événements des deux précédents titres sont évoqués au cours de ce troisième opus qui apporte donc une conclusion à la geste de Ged (qui est le nom véritable, celui que l’on tait, d’Epervier) – si l’on choisit de ne pas évoquer les autres titres qu’Ursula Le Guin consacrera ensuite, de nouveau, à Terremer.

 

Le roman s’ouvre sur la venue d’Arren fils de Morred Prince d’Enlad et des Enlades à la Grande Maison de Roke, l’Ile des Sages. La Grande Maison est l’école et le centre de sorcellerie, au centre de laquelle s’ouvre la Cour de la Fontaine. C’est là qu’Arren – dont le nom signifie « Epée » et dont le nom véritable est Lebannen - rencontre l’Archimage, dont le vrai nom (qu’il tait) est Ged. En Enlad comme en d’autres endroits du monde, les sorciers perdent la connaissance de la sorcellerie, les chanteurs ne comprennent plus le sens de leurs chansons. Quelque chose menace la sorcellerie et, au-delà, la vie même.

 

Convaincu, contre ses collègues sorciers, qu’une menace réelle et très grave est à l’œuvre, l’Archimage décide de partir en quête de cette menace. Arren l’accompagne. Tous deux embarquent sur Voitloin, le voilier magique, qui les mènera au bout du monde, à l’ultime rivage, au-delà duquel nul n’est allé et nul n’ira. C’est là qu’aura lieu la rencontre avec la cause du mal, la source qui absorbe la vie.

 

En chemin, Epervier et Arren s’arrêtent en plusieurs endroits dont ils rencontrent les hommes, constatant la progression de l’oubli des sorts et des techniques, affrontant quelques dangers et passant quelques jours avec les Enfants de la Mer Ouverte, qui vivent sur des radeaux. Ils rencontrent aussi des dragons, dont Orm Embar, « le dragon de Selidor, parent du fameux Orm qui tua Erreth-Akbe et fut tué par lui ». C’est à lui qu’Epervier dut la vie jadis, ainsi que la découverte de la Rune des Rois et l’Anneau d’Erreth-Akbe. Orm Embar guidera les voyageurs jusqu’au terme de leur périple.

 

Ged, au bout du chemin, devra affronter un ancien ennemi et tenter de refermer la Porte ouverte par celui-ci entre la vie et la mort, par où peu à peu sont engloutis les sorts, les chants, la signification des choses, le goût de la vie. Un affrontement entre la lumière et les ténèbres qui sera (donc) l’ultime exploit de Ged.

 

Mais le roman raconte aussi l’apprentissage d’Arren, adolescent qui devient homme en accompagnant l’Archimage. Le récit est conté de son point de vue (mais à la troisième personne) et rapporte les péripéties à travers le prisme de son expérience du monde et de la magie. Sa bravoure, ses espoirs, ses doutes aussi ponctuent le voyage des deux hommes, conduisant le jeune garçon jusqu’aux portes du désespoir et de l’abandon. Il doutera du pouvoir de l’Archimage et de sa capacité à le mener au bout de leur voyage, comme il doutera de lui-même. Mais le destin d’Arren est de devenir roi, ce roi d’Havnor dont le monde a besoin et qui rétablira l’Equilibre.

 

Comme les autres livres d’Ursula Le Guin et le cycle de Terremer, L’Ultime rivage est un livre de paix et de sagesse, quand bien même il conte une lutte ultime contre les ténèbres (ce qui, au demeurant, n’a rien que de classique en fantasy). Si le point de vue est celui d’Arren, le livre est empreint de l’esprit de l’Archimage, qui porte un regard lucide et tendre sur le monde et les hommes.

Thierry LE PEUT

Partager cet article
Repost0
16 novembre 2014 7 16 /11 /novembre /2014 16:36

 

LEHANE - Un dernier verre avant la guerre  LEHANE - Ténèbres prenez-moi la main

 

Les yeux dans le noir

C'est avec Un dernier verre avant la guerre et Ténèbres prenez-moi la main que Dennis Lehane ouvre la série Kenzie & Gennaro, mettant en scène Patrick Kenzie et Angela Gennaro, deux enquêteurs privés de Boston dont le bureau se trouve dans le clocher d’une église.

Une telle localisation (le clocher d'une église) sent évidemment son gimmick à plein nez, et les romans de Lehane contiennent d’autres éléments pour alimenter la machine à « trucs », comme les voitures conduites par Kenzie (« vous n’avez jamais fini de grandir ? » lui dit un personnage de l’un des deux romans) et sa propension à multiplier les aventures pour éviter de penser que la seule femme qu’il aime au fond c’est son équipière – mariée, de toute façon. Mais n’allons pas trop vite car on aura vite perdu le fil.

Les gimmicks et le syndrome de Peter Pan sont toujours intéressants à commenter et ils ont leur part dans le plaisir que l’on prend à lire un roman, et pas seulement policier. Mais ils ne sont évidemment que la surface des choses. Restons encore un peu en surface pour décrire la relation qui unit les deux détectives de ces romans. Kenzie & Gennaro ont grandi dans le quartier où ils travaillent désormais. Ils ont couché ensemble (on l’apprend dans le second de ces deux titres) puis lui s’est comporté de manière tellement ignoble ensuite qu’elle s’est jetée dans les bras d’un copain de la bande, Phil Dimassi, qu’elle a épousé. Devenu alcoolique et brutal, il la bat avec une grande régularité et, bien qu’ayant un caractère bien trempé, elle ne le quitte pas. Un mystère qui ne laisse pas de poser quelques problèmes à Kenzie, qui a un jour exprimé son désaccord en arrangeant le portrait de Phil, qui s’est aussitôt vengé sur Angie. Laquelle ne l’a toujours pas quitté. La situation est si bien connue qu’elle attise aussi la colère de Devin et Oscar, deux amis policiers, et de Bubba, une brute épaisse qui déteste tout le monde sauf Kenzie & Gennaro, lesquels ont fréquemment recours à lui pour des besognes inavouables. De quoi générer une certaine tension quand tout ce monde se retrouve.

Kenzie & Gennaro ont donc grandi dans le même quartier et travaillent aujourd’hui ensemble. L’attirance est manifeste de part et d’autre, même si l’éventualité d’un rapprochement n’est pas envisagée. Sauf par des tiers. Kenzie cultive donc son côté macho et sa réputation d’homme à femmes, incapable de rester très longtemps avec la même. Un mariage rapide avec Renée (on ne la rencontre pas mais on apprend quelque chose d’important sur elle dans Ténèbres…), soldé par un divorce expéditif, est là pour en témoigner.

Jusque là, dira-t-on, rien que du classique. Chacun des deux protagonistes a aussi un background classique, dont l’intérêt réside dans la dimension personnelle mais aussi environnementale : car le cadre des enquêtes est tout aussi important que les personnages et les romans de Lehane sont les romans d’une ville autant que ceux des figures qui la peuplent. Et le dénominateur commun de ces backgrounds, c’est la violence. Côté Gennaro, on l’a vu, c’est dans le couple qu’elle s’exerce. Côté Kenzie, c’est dans la famille, ou du moins les souvenirs qu’elle a laissés. Kenzie a une sœur, Erin, qu’on ne rencontre pas dans ces deux romans. On ne lui connaît pas d’autre famille en vie. Son père fut pompier avant de devenir politicien local ; beaucoup l’appellent encore « le héros », en souvenir de ses exploits dans le BFD (Boston Fire Department). Héros, il le fut un peu pour son jeune garçon, mais tout ce que ce dernier put jamais recevoir de lui ce furent des humiliations et des raclées qui ont laissé des traces (dont une en particulier, mais on vous laisse la découvrir : elle constitue l’un des mystères du premier tome et s’invite ensuite dans les suivants). Au point que la mort du paternel a ouvert une fenêtre de soulagement dans la vie du fils. Sans faire disparaître la haine, la colère, la violence, reçues en héritage.

C’est cet héritage qui forme le cœur des deux romans. D’abord parce que les enquêtes qu’ils mènent mettent en jeu le rapport de Kenzie & Gennaro à la violence – celle qu’ils ont reçue, celle dont ils sont les témoins, mais aussi celle qu’ils commettent à leur tour. Ensuite parce que ces enquêtes leur renvoient à la figure ce qu’ils ont vécu eux-mêmes et le passé du quartier et de la ville à laquelle ils appartiennent. L’imbrication de leurs histoires personnelles et de celles des personnes qu’ils côtoient renvoient à la société dans laquelle ils ont grandi, et évoluent toujours. Parce que les criminels qui les menacent aujourd’hui ou qu’ils doivent arrêter sont aussi, souvent, les gens avec qui ils ont grandi, ou que les drames d’aujourd’hui sont la conséquence des secrets d’hier, dans lesquels leurs familles sont impliquées. C’est particulièrement vrai pour Patrick Kenzie, qui compose avec l’héritage personnel que lui a laissé son père mais tout autant avec les conséquences des actes qu’il a commis dans le passé, et dont son fils n’avait pas conscience. Selon un schéma lui encore classique, le détective est en quête de lui-même autant que de son entourage, de son environnement, mais il fait ici partie intégrante de l’équation.

Les enquêtes que font Kenzie & Gennaro sont donc en rapport avec l’enfance, et spécialement avec l’enfance brutalisée. Le secret tapi derrière la guerre des gangs d’Un dernier verre avant la guerre est un secret de famille ; de même, l’explication du déchaînement de violence monstrueuse de Ténèbres prenez-moi la main est à chercher dans les terreurs et les drames de l’enfance – et certaines scènes du roman évoquent déjà Mystic River, que Lehane publiera quelques années plus tard. Au fond, ce qui n’est pas arrivé aux détectives est arrivé autour d’eux, à des proches ou des enfants de leur entourage, et ce qu’ils affrontent aujourd’hui n’est que la réalisation adulte d’une violence perpétrée dès l’enfance, qui met au jour des blessures peut-être invisibles jusque là mais bel et bien subies.

Deux visages d’enfants se détachent des deux romans. Celui d’un petit garçon dans Un dernier verre avant la guerre, dont on voit le visage presque adulte avant d’apprendre qu’il s’agit d’une seule et même personne – un visage éteint par une violence qui appelle des années plus tard une violence décuplée. Et celui d’une petite fille dans Ténèbres prenez-moi la main, qui représente l’enfance innocente, encore épargnée par la violence, mais déjà environnée par elle. Ce que montre Lehane, c’est que la violence vient, non pas seulement mais aussi, de ceux qui l’ont d’abord éprouvée, et qui en ont le plus souffert. C’est toute la problématique de Patrick Kenzie, enfant victime, écoeuré et révolté par la violence qu’il observe autour de lui, mais lui-même instrument de la violence, même s’il croit s’en protéger en faisant appel parfois à un intermédiaire pour les plus sales besognes.

Ces sales besognes, il lui est difficile de les éviter. Le détective ne les recherche pas, mais d’une certaine manière il les appelle. Si l’enquête qu’il accepte au début d’Un dernier verre… ne laisse pas présager le déferlement de violence qui s’ensuivra, celle qu’il prend en toute conscience avec Gennaro au début de Ténèbres… s’annonce d’emblée comme dangereuse. Qu’ils aient affaire aux gangs et aux politiciens dans le premier roman, ou à la mafia irlandaise dans le second, Kenzie & Gennaro agissent comme les catalyseurs de la violence qui les entoure, ce qui n’a rien d’inhabituel pour des enquêteurs, privés ou publics. Les détectives sont les instruments qui conduisent à la violence, consciemment ou non, et cela ne manque pas de leur apparaître et de leur être reproché, même s’il est alors trop tard pour faire machine arrière. Ils n’en sont toutefois pas la cause, puisqu’ils révèlent ce qui leur est antérieur, mais ils en sont les véhicules.

Dans Ténèbres…, Lehane évoque Starsky & Hutch et, à travers elle, les séries policières des années 1970, dans lesquelles les héros tombaient amoureux d’une fille qu’ils voyaient mourir et qu’ils vengeaient dans le même épisode, avant d’avoir tout oublié dès la semaine suivante, pour éventuellement tomber amoureux de nouveau. Cette facilité n’est pas celle des romans de Lehane – et elle n’est plus que rarement celle des séries policières, au demeurant. Le souvenir des morts ne s’efface pas des mémoires, les spectres continuent de hanter la psyché des personnages et les pages des romans. Ainsi les événements d’Un dernier verre… sont-ils plusieurs fois évoqués dans Ténèbres…, car ce sont les mêmes personnages que l’on y retrouve, marqués par leur passé.

Lehane évoque fréquemment les séries télé, comiques comme Gilligan’s Island ou dramatiques comme L.A. Law – et l’on sourit aux noms de deux chiens baptisés Belker et Esterhaus comme deux personnages de Hill Street Blues. C’est une manière pour l’écrivain d’inscrire sa propre fiction dans un environnement culturel tout en épinglant les références des héros eux-mêmes. Mais c’est aussi une façon de souligner l’interaction entre la culture littéraire et la culture télévisuelle, en l’occurrence deux formes de culture populaire qui peuvent évidemment évoluer dans l’ignorance l’une de l’autre, le roman et la série policière, mais qui se côtoient aussi dans la vie réelle de leurs adeptes, lecteurs et téléspectateurs pouvant se rencontrer. C’est d’autant plus évident pour un auteur qui, comme Lehane, a plusieurs fois été adapté au cinéma. Boston, au demeurant, est l’un des décors récurrents des séries télé, de Banacek aux séries de David E. Kelley – dont The Practice, série résolument « noire » à mille lieues de la « réalité alternative » lumineuse d’Ally McBeal. Chez Lehane, pas de doute : même s’il y fait parfois beau, l’ambiance est au noir, et c’est avec les ténèbres que les personnages sont en lutte constante.

Il y a parfois du western aussi dans Lehane – il cite Les Sept Mercenaires dans Un dernier verre… - mais les références à la culture populaire n’empêchent pas le noir d’être toujours plus noir. Au point que l’on n’est que modérément convaincu par la tentative de montrer la lumière au terme d’Un dernier verre avant la guerre, tant il est difficile d’y croire après la cruauté révélée par l’enquête, et l’intensité de la violence mise en scène par l’écrivain. Les deux romans dont il est question ici sont rigoureusement construits autour d’un mystère puis d’une montée en puissance qui font douter de la survie finale des protagonistes. L’amnésie leur étant interdite, le second volume commence d’emblée dans la noirceur, car il est impossible de se remettre vraiment des événements racontés dans le premier opus. La figure omniprésente du père – ce héros – invite à lire une continuité très forte entre les deux tomes, et à percevoir la noirceur du second non comme une surenchère mais comme un constat accablant : celui que, même lorsque l’on pense avoir atteint le sommet de la violence, celle-ci n’a en vérité été qu’effleurée. Un constat qui s’impose à la lecture de Ténèbres…, au lecteur comme aux personnages.

Si Lehane interroge la nature du mal, il interroge aussi ses causes. Un dernier verre avant la guerre fait une large place au racisme – sur lequel Kenzie, narrateur de l’enquête, a une position problématique – mais démontre aussi que celui-ci est alimenté par les intérêts privés et le cynisme des politiques ; surtout, l’origine de la violence est ailleurs, car elle ne s’exerce pas seulement, loin de là, entre communautés antagonistes. Elle déchire les familles elles-mêmes et dresse les uns contre les autres des êtres destinés pourtant – mais par qui, et pourquoi ? – à s’aimer. En grattant plus encore le vernis de la famille et en tordant le bras aux apparences lénifiantes, Ténèbres prenez-moi la main débusque le mal à l’intérieur même des « victimes », des « innocents », et met au jour une mécanique de la violence aux accents tragiques et aux effets destructeurs.

En exergue du roman, une citation de Graham Greene met en garde le lecteur : « Nous devrions nous sentir soulagés de ne pas voir les horreurs et les dégradations qui traînent dans notre enfance, au fond des placards, sur les rayonnages de livres, partout. » (La Puissance et la Gloire) Ce sont ces horreurs et ces dégradations que Lehane met au jour, avec cruauté peut-être, mais aussi une grande maîtrise du polar.

Il faut alors une certaine dose d’humour, et de légèreté dans les rapports des protagonistes entre eux – on parle ici des « gentils » - pour compenser l’intensité du noir. Cette légèreté, heureusement, Lehane sait aussi la cultiver, ménageant des respirations et des ouvertures dans son Boston marqué par la violence. Et puis, en dépit des colères et des haines, l’amour a aussi droit de cité. On ne vous dit pas tout, mais vous le verrez dans Ténèbres…

Thierry LE PEUT    

 

UN DERNIER VERRE AVANT LA GUERRE

TENEBRES PRENEZ-MOI LA MAIN

de Dennis Lehane

1994 et 1996 - 1999 et 2000 aux Editions Payot & Rivages

traduits de l’anglais par Mona de Pracontal et Isabelle Maillet (respectivement)

 

Partager cet article
Repost0