LE CONCERT, de Radu Mihaileanu
en salles depuis le 4 novembre 2009
Sans surprise, mais touchant
Le concert fut finalement une bonne surprise. Drôle de façon de commencer, sans doute, mais appropriée : car c’est avec méfiance que j’ai laissé mes pas me conduire à ce film, dont la bande-annonce m’avait laissé percevoir surtout une sorte de divertissement un peu grossier, sans surprise, reposant sur le cliché et une émotion conventionnelle.
Le cliché, la convention sont certes présents. La comédie repose même essentiellement sur le choc de deux clichés : celui d’une Russie qui n’a pas réglé tous ses comptes avec le communisme, mais aussi de Russes débarquant dans la capitale parisienne comme une horde de « barbares » hurlants et primitifs, et celui d’une « caste » culturelle parisienne maniérée et élitiste, d’un élitisme qui dissimule en fait une grossièreté fondamentale. La convention guide aussi le scénario, dont le déroulement rappelle d’autres films prenant la musique comme catalyseur, par exemple Les Virtuoses. Le postulat improbable – un ancien chef d’orchestre devenu homme de ménage du Bolchoï entreprend de se rendre à Paris avec son propre orchestre en lieu et place du vrai Bolchoï, pour un concert événementiel -, l’amorce d’une relation sentimentale entre le paria escroc et la belle et sensible virtuose du violon, un secret encore à vif, l’opposition des caractères : tout cela a déjà été vu, fait, dit, filmé, et mis en avant, précisément, par la bande-annonce.
Le bonheur vient donc de la surprise de se voir happé et conquis par le film en dépit de ces grosses ficelles. Du plaisir d’être ému, alors même qu’on ne s’y attend pas. D’abord par la sincérité des personnages, qui s’exprime avec simplicité entre les débordements comiques dont le film ne manque pas. Tout cet attirail de comédie a finalement pour effet de créer un environnement sans réelle surprise à l’abri duquel les personnages principaux, touchés ou emportés par tout ce mouvement mais eux-mêmes peu enclins au sourire, s’exposent simplement dans des scènes de calme en parfaite rupture avec la grosse machinerie. Car Andrei Filipov et Anne-Marie Jacquet – respectivement le génie déchu et la virtuose montante – ne sont pas exactement des boute-en-train ; le premier vit depuis trente ans une vie sans relief et sans passion, bien qu’il aime sa femme, tandis que la seconde se donne à son art dans l’espoir de rencontrer un jour le regard de parents qu’elle n’a jamais connus. L’un et l’autre vivent dans le passé, même si dans le cas de la virtuose c’est un passé qu’elle n’a pas connu, celui d’un bonheur familial auquel elle a été arrachée. Et ce n’est nullement une surprise de découvrir que leurs passés finalement n’en forment qu’un, un destin brisé dont la révélation est placée par le réalisateur au cœur même du concert qui constitue l’apothéose du film.
Certains crieront – et l’ont déjà fait – à la facilité. On n’essaiera certes pas de démontrer que le scénario fait preuve d’originalité, même s’il déjoue la fausse piste insidieusement ouverte par la bande-annonce. Ce qui est intéressant, c’est bien plutôt la capacité du réalisateur à emporter son public dans l’émotion du concert final. Le dénouement résume le film : on y trouve l’émotion attendue, traitée de manière conventionnelle, flirtant même outrageusement avec les bons sentiments, mais aussi le contrepoint comique, qui nous signale que le réalisateur, lui-même, n’est pas dupe. Et nous invite à ne pas l’être davantage. Le contrepoint enrichit l’émotion de ce qui la rend humaniste : le sourire. L’envolée lyrique, excessive à elle seule, est pardonnée justement parce que la dérision autorise la compassion, en ramenant les personnages à hauteur d’homme.
La présence du communisme en toile de fond ouvre peut-être sur une étude de société. Je laisse le débat aux historiens et aux idéologues, d’autant plus volontiers que la confrontation entre la Russie post-soviétique et le Paris capitaliste apparaît surtout comme un ressort comique. L’alliance improbable du chef d’orchestre déchu et humilié et de l’apparatchik irréductiblement accroché à l’espoir d’une ultime victoire du communisme trouve son explication dans la scène où le premier essaie de convaincre le second que le vrai communisme réside dans l’osmose que crée un concert : la réunion d’individus tendus vers un but commun, la recherche d’une harmonie ultime. Chacun vient avec son instrument et son talent, mais le concert n’est réussi que si l’harmonie est atteinte. L’émotion du concert final réside précisément dans l’illustration de cette conviction, lorsque l’orchestre et la soliste, d’abord distincts, se rencontrent, se répondent et finalement s’unissent pour « réaliser » la musique de Tchaikovski.
L’aventure parisienne de l’orchestre insolite – et hétéroclite – d’Andrei Filipov est au service de cette démonstration finale. Elle éclate l’orchestre en dizaines d’individualités préoccupées de leur bien-être personnel, pour les réunir ensuite au Théâtre du Châtelet en ne cessant pas d’insister sur l’hétérogénéité désastreuse du « faux Bolchoï ». Hétérogénéité où le réalisateur, précisément, place son humanisme en l’opposant à l’unité factice du « vrai Bolchoï », les deux orchestres étant opposés dans l’une des séquences comiques qui interviennent en contrepoint du concert final. A l’uniformisation dans la médiocrité, Mihaileanu oppose la communion dans le respect des individus. C’est simpliste ? Sûrement. Mais qui a dit que les choses vraies étaient forcément compliquées ?
Thierry LE PEUT (15 novembre 2009, 20 h 40 – 21 h 50)