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28 mars 2010 7 28 /03 /mars /2010 15:14

LES CATILINAIRES, d'Amélie Nothomb
Albin Michel, 1995 - Livre de Poche, 1997

Conte cruel
CatilinairesEmile et Juliette Hazel achètent une petite maison à la campagne. Pour y finir leurs jours tranquilles, après une vie entière passée ensemble. Seul hic : ce lieu idyllique est vendu avec un voisin, Palamède Bernardin. Un médecin sans patients, qui vient frapper à la porte un jour à quatre heures, s’installe dans un fauteuil jusqu’à six heures, répondant par des « oui » et des « non » à toutes les questions, l’air perpétuellement fâché. Et chaque jour il revient. Pour n’avoir pas osé l’éconduire, Emile et Juliette découvrent qu’il suffit d’un incident pour transformer leur rêve de thébaïde en cauchemar journalier.

 

Les Catilinaires possède la légèreté, la vitalité et la cruauté des romans d’Amélie Nothomb. C’est une comédie noire, peuplée de personnages banals ou inquiétants, le docteur et son épouse tirant bientôt le récit vers l’absurde fantastique, le « bizarre », d’autant plus terrifiant qu’il est cocasse et qu’il s’installe sans prévenir dans la vie des deux personnages principaux. En faisant de son « héros » Emile un professeur de latin et de grec à la retraite, Amélie Nothomb s’autorise le plaisir d’inviter la culture classique à la fête, invoquant finalement les discours de Cicéron dans une conclusion simplement cruelle, ou cruellement simple. L’histoire, reposant sur le postulat lui-même classique d’une intrusion tournant au cauchemar, est déroulée avec une évidence psychologique qui fait des personnages des types mythologiques (c’est l’auteur qui le suggère), donnant une portée générale à l’aventure d’Emile et Juliette.

 

Si le docteur Bernardin et son épouse sont inquiétants, la cruauté se love plutôt, pourtant, dans les protagonistes, ce couple de retraités placides qui n’aspire qu’au bonheur solitaire et tranquille mais voit celui-ci irrémédiablement contrarié par le viol quotidien de son intimité. Comme souvent chez Amélie Nothomb, l’unité de lieu renforce le caractère implacable de l’intrigue, accentuant l’enfermement des personnages dans une logique qui met au jour leur vérité profonde et ne leur laisse guère le choix de leurs actes. Le narrateur est Emile, qui raconte après coup, quelques mois après les faits, et à qui revient la responsabilité de « conclure » l’aventure par un acte extrême : un acte aux antipodes du personnage qu’il croyait être, mais implacable, justement, par sa logique. Le bonheur retrouvé est au prix de la dissimulation, à jamais. « On ne sait rien de soi » est la première phrase qu’il écrit, au début de son récit. Car Les Catilinaires est tout bêtement un récit « de passage », dont le héros n’est pas un adolescent accomplissant son entrée dans la vie adulte, mais un vieillard découvrant sur lui-même une vérité insoupçonnée, à l’automne de sa vie.

 

La cruauté est aussi le fait de l’auteur. La manière dont elle décrit le médecin, et surtout son épouse, tout droit vomie d’un sketch des Monty Python ou d’un film de Guillermo del Toro, est un grand moment de cruauté assumée dont Nothomb réussit parfaitement à rendre complice le lecteur. Avant, toutefois, de mettre en scène un processus de compassion qui, s’il ne sauve pas les personnages, permet une fin « morale », non dénuée de surprise. Chacun appréciera.

Thierry LE PEUT

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27 mars 2010 6 27 /03 /mars /2010 16:26
LE NEZ A LA FENETRE, de Jean-Noël Blanc
Editions Joelle Losfeld, 2009

Allez Momo !

L61837Le nez à la fenêtre est le roman d’un combat. Le combat d’un homme contre lui-même. C’est une situation classique du sport, dans lequel Jean-Noël Blanc ancre son récit. Momo est un coureur cycliste, mais pas une star ; il appartient à ces coureurs de l’ombre, ces travailleurs ignorés des médias et du grand public parce que leur rôle, leur travail, n’est pas de remporter les victoires mais de permettre à la star de gagner. Blanc imagine ce qu’a pu être la vie de Momo, son enfance, ses épreuves, son caractère, pour faire de lui l’homme qu’il est devenu. De là une construction duelle, à l’image du combat que livre Momo lors d’une étape particulièrement difficile du Tour de France. Un chapitre pour l’enfant, un chapitre pour l’adulte. Un pour le passé, un pour le présent. Un en gras, l’autre non. Chaque chapitre assorti d’un titre, numérotés pour le passé, sans numéro mais en majuscules pour le présent. A mesure que le récit avance, en deux lignes parallèles, ces chapitres se répondent, le passé explique le présent mais s’en nourrit aussi, au point que les deux lignes finissent par se lier en un seul récit, à mesure que se dessine une autre ligne, décisive, celle de l’arrivée d’étape.

 

Les têtes de chapitres à elles seules dessinent l’évolution du récit et soulignent les enjeux de chaque ligne narrative. Pour le passé, l’auteur choisit des formules qui font écho aux expériences de Momo enfant mais aussi à l’habitude de sa mère de ponctuer tous ses propos d’une maxime, d’un proverbe, d’un dicton illustrant la sagesse populaire. Sagesse populaire qui, en l’occurrence, est l’arme grâce à laquelle cette mère, élevant seule son enfant, assume sa vie de ménages, de privations et d’efforts. Ne jamais se plaindre, faire ce qui est à faire, vivre le jour présent non pas sans penser au lendemain mais en taisant sa peur du lendemain. Tic de langage, amusant au départ, ce goût des maximes se révèle une politesse de la souffrance. En tête des chapitres consacrés au présent, il prend la forme de formules à l’infinitif qui sont autant d’exhortations que se fait Momo en absorbant les kilomètres sur son vélo. Rester concentré, évacuer la peur, tenir et durer… C’est la vie de Momo résumée en formules, la révolte transformée en exhortation à l’effort, le silence imposé à la douleur, la nécessité de tenir et peut-être, au bout de la route, l’espoir de gagner. Ce n’est qu’à la fin du récit que l’infinitif cède la place à l’impératif, au moment où l’enjeu devient plus important, l’espoir plus prégnant. Pour finalement s’effacer devant un groupe nominal, et pas n’importe lequel : un nom chargé de sens, de souvenirs, un nom synonyme de victoire et de réconciliation, de paix, à l’issue du combat.

 

Le nez à la fenêtre – l’expression est issue du langage cycliste – se lit avec facilité et se termine avec avidité. Non seulement Jean-Noël Blanc parvient à nous intéresser aux expériences de son protagoniste, à nous installer dans la course, mais il réussit également à nous entraîner derrière lui dans un récit qui monte en puissance et se mue très vite en un suspense accrocheur. Et cela, même si l’on n’a aucune connaissance du vélo ou aucune inclination pour ce sport, ou pour le sport en général. Palpitant.
Thierry LE PEUT

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6 octobre 2009 2 06 /10 /octobre /2009 19:54
DE LA DAME ECOUILLEE, fabliau du XIIIe siècle (?)
Allia, 2009, 3 €

Toutes des salopes
On me pardonnera le titre ci-dessus : ce sont en fait les derniers mots de la préface de Claire Debru, qui présente chez l'éditeur Allia le fabliau traduit de l'ancien français. Vous lirez la préface pour mieux comprendre comment C. Debru en arrive là.

Allia propose une collection de titres en petit format qui se lisent en moins d'une heure et ne manquent pas d'intérêt. De la dame écouillée, fabliau daté du XIIIème siècle par Willem Noomen dans le Nouveau recueil complet des fabliaux (tome VIII), en est un exemple savoureux, ou sulfureux, au choix du lecteur. Les fabliaux sont en quelque sorte le pendant populaire des romans courtois : si dans ces derniers la femme est placée sur un piédestal le fabliau se charge de la remettre plus bas que terre. Question d'équilibre, sans doute. Et de public, aussi. Encore que ce fabliau s'adresse directement aux seigneurs, qu'il met en garde contre un danger plus grand qu'une invasion guerrière. Un danger si grand, en vérité, qu'il menace l'équilibre même (justement) de la société féodale. Ce danger, c'est la femme qui ne garde pas sa place.

Car la femme a une juste place, qui est dans la soumission à son époux. Un seigneur qui permet à son épouse d'outrepasser le cadre de cette soumission perd de sa dignité autant qu'il menace la structure même de la société. C'est ce qu'entend rappeler l'auteur de ce fabliau, en l'illustrant convenablement par un exemple édifiant. Ainsi commence le récit de La dame écouillée.

Le titre annonce la couleur. Et Claire Debru d'en rajouter, dans sa préface, pour appâter le lecteur, en évoquant le gore, ce registre moderne (ou post-moderne) qui tire sa légitimité de l'étalage sadique de sang et de souffrance. Tels sont les ingrédients que nous annonce C. Debru. En exagérant quelque peu. Car le lecteur alléché parviendra à la fin de l'histoire en ayant finalement vu couler peu de sang, et été le témoin d'une cruauté somme toute modérée. Certes, le traitement infligé à la dame éponyme n'appartient pas à la catégorie des sorts enviables ; mais de là à y voir un exemple de cruauté extrême, à la limite du soutenable, il y a un pas. Et c'est d'ailleurs fort heureux.

Car le plaisir que l'on prend à ce fabliau - comme à d'autres - serait gâché par une cruauté à la Sade ou Lautréamont. L'histoire en effet se lit comme un divertissement, avec la légèreté qu'y imprime son narrateur. Elle n'est pas exempte de cruauté, certes, et notamment à l'encontre de deux pauvres lévriers. Mais celle que réserve à la dame du titre le comte dont il est ici question est atténuée par le ton édifiant de l'ensemble. Le but est d'illustrer la morale qui sera délivrée à la fin, et non d'effrayer ni de bouleverser. Que le lecteur dégoûté par l'étalage d'inutile violence se rassure donc à l'instant d'entrer dans cette fable médiévale : il en sortira probablement content, et finalement soulagé d'avoir échappé au pire.

Forme courte, le fabliau va à l'essentiel. Les personnages et les situations sont campés et le décor planté en peu de mots. L'aventure ne manque pas de sel car elle s'appuie sur des caractères bien tranchés, donnant à chacun une place déterminée. Un comte amoureux et fier, une jeune fille mal conseillée par une mère aussi imprudente qu'impudente, un seigneur affligé d'une épouse difficile, mais qui ne se montre pourtant pas si bête : chacun finalement tirera profit de l'histoire ici contée et la société, au final, n'en sera que mieux confortée dans ses habitudes.
Toutes des salopes ? Non point. Même la dame qui justifie le titre dans le tableau final apparaît en définitive plus sympathique qu'on ne le craindrait. Et les belles-mères ne regarderont plus leur gendre de la même façon... ni peut-être leur mari. TLP
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10 juin 2009 3 10 /06 /juin /2009 03:22

L'ETRANGER, par Albert Camus
Folio, Gallimard, 1971

Etranger à la vie
"Un homme était parti d'un village tchèque pour faire fortune. Au bout de vingt-cinq ans, riche, il était revenu avec une femme et un enfant. Sa mère tenait un hôtel avec sa soeur dans son village natal. Pour les surprendre, il avait laissé sa femme et son enfant dans un autre établissement, était allé chez sa mère qui ne l'avait pas reconnu quand il était entré. Par plaisanterie, il avait eu l'idée de prendre une chambre. Il avait montré son argent. Dans la nuit, sa mère et sa soeur l'avaient assassiné à coups de marteau pour le voler et avaient jeté son corps dans la rivière. Le matin, la femme était venue, avait révélé sans le savoir l'identité du voyageur. La mère s'était pendue. La soeur s'était jetée dans un puits. J'ai dû lire cette histoire des milliers de fois. D'un côté, elle était invraisemblable. D'un autre, elle était naturelle. De toute façon, je trouvais que le voyageur l'avait un peu mérité et qu'il ne faut jamais jouer."

Albert CAMUS, L'Etranger. (Pour écouter le roman lu par son auteur.)

L'histoire du Tchécoslovaque, comme l'ensemble de L'Etranger, amène une réflexion sur la vie. Et son absurdité.

Le héros du roman, Meursault, ne ressent pas de tristesse particulière à la mort de sa mère. Pas plus qu'il n'en ressent après avoir tué un homme qui le menaçait d'un couteau. Un juge essaie bien de lui rappeler le sacrifice du Christ - pour le salut des hommes ! - mais rien n'y fait. La vie n'a tout simplement pas grand sens pour Meursault. Pourtant il n'a pas l'air méchant ; avant de tuer un homme, il menait une vie d'employé sans histoire, allait à la plage, faisait l'amour avec son amie Marie (pas la vierge, une autre). Il ne se posait pas beaucoup de questions, se moquait d'être l'ami d'un tel ou non, n'aimait pas mécontenter son patron mais au fond s'en fichait, n'avait plus d'ambition, ne cherchait rien qu'à vivre, un jour après l'autre, une vie sans histoire. Se marier avec Marie, peut-être - mais sans être certain de l'aimer. Il ne savait pas ce qu'il ressentait, simplement ; et quand on l'interrogeait sur ses sentiments il ne savait trop que répondre, embarrassé il disait la vérité, y compris à Marie qu'il ne lui semblait pas l'aimer, bien qu'il aimât être avec elle et la désirât.

Avec ce livre comme avec un autre, chaque lecteur est invité à interpréter le récit selon ses propres caractères. Pour ma part, je le trouve sympathique, ce Meursault, et son indifférence à la vie ne me choque pas. Qu'est-ce qu'une vie quand il y en a des milliards sur la Terre ? Posée ainsi, abruptement, sans faire "de sentiment", justement, la question n'a qu'une réponse. Objectivement, une vie d'homme est comme une vie de fourmi : on en écrase sans y penser, alors un être humain... ? Et c'est précisément là que réside le scandaleux de l'attitude de Meursault ; c'est un homme sans le sens de l'homme ; un esprit et un corps qui semblent dépourvus de sentiment, s'ils ne sont pas dépourvus d'émotion, comme le désir charnel. Où s'arrête la part animale et où commence - où devrait commencer - la part de l'homme ?

L'Etranger, Meursault, c'est l'homme révolté de Camus, celui qui n'adhère pas à la norme que l'existence cherche à lui imposer et qui, jusque devant ses juges, jusque dans sa prison, jusqu'au seuil de la mort, refuse d'embrasser une foi qu'il ne partage pas, à laquelle il reste irrémédiablement étranger.   TLP

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9 juin 2009 2 09 /06 /juin /2009 23:25

NEIGE, par Maxence Fermine
Points, Seuil, 2000

Pages blanches
"Yuko Akita avait deux passions.
Le haïku.
Et la neige.

Le haïku est un genre littéraire japonais. Il s'agit d'un court poème composé de trois vers et de dix-sept syllabes. Pas une de plus."

Ainsi commence Neige, le roman de Maxence Fermine, son premier livre (il en a publié d'autres depuis). Neige est un beau livre. Un de ces livres où (non, sans blague !) le travail des mots révèle un goût des mots, un goût de la phrase, une attention au rythme, un plaisir d'écrire qui peut s'offrir et s'éployer en plaisir de lire.

La phrase de Maxence Fermine, souvent s'ouvre et se révèle comme les fleurs japonaises de Proust. En un déploiement à la fois serein et ciselé.

On goûte ainsi le charme reconstitué de la culture japonaise, à travers ce roman (français) inspiré d'une forme littéraire typiquement japonaise, le haïku. Quand on dit "typiquement japonaise", cela ne veut pas dire qu'il ne s'en trouve pas d'équivalent dans d'autres cultures ; il existe TOUJOURS des liens secrets, intimes même si accidentels, entre les cultures. Cela veut dire, simplement, que le haïku est aussi lié à la culture japonaise que ses jardins savants, ses samouraïs et ses bonzaïs.

Neige retrouve cela, mais n'est pas hermétique pour autant. C'est un roman qui s'épanouit en chapitres de longueurs inégales, très courts ou plus longs. Au rythme du narrateur, des narrateurs même, et de l'histoire de son héros : Yuko a décidé d'être poète. C'est le but de sa vie mais il ne s'arrête pas là : poète, il ne chantera que la neige. Telle sera sa vie, tout entière consacrée à chanter la neige à travers de multiples haïkus qu'il n'écrit que l'hiver.

Mais il manque à la poésie de Yuko quelque chose qu'il ne possède pas : de la neige il chante admirablement la blancheur ; mais sa poésie, lui dit-on un jour, sa poésie manque... de couleurs. Sa poésie est chant, elle est danse, elle est musique, elle est calligraphie... mais elle ne sait pas être peinture.

Et s'il ne s'agissait que de cela !

Mais pour apprendre à être peintre Yuko doit faire un long voyage, rencontrer un grand peintre aveugle, le plus grand peintre de la couleur (mais oui), et rencontrer l'amour. Sous des formes inattendues et poétiques. Amour de neige, de glace, qu'il ne trouvera qu'au sein de la mortelle blancheur.

Ne vous laissez pas tromper par les mots... Lisez vite ce court roman qui a déjà conquis un large public ! Paraît-il.  TLP

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