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6 octobre 2009 2 06 /10 /octobre /2009 19:54
DE LA DAME ECOUILLEE, fabliau du XIIIe siècle (?)
Allia, 2009, 3 €

Toutes des salopes
On me pardonnera le titre ci-dessus : ce sont en fait les derniers mots de la préface de Claire Debru, qui présente chez l'éditeur Allia le fabliau traduit de l'ancien français. Vous lirez la préface pour mieux comprendre comment C. Debru en arrive là.

Allia propose une collection de titres en petit format qui se lisent en moins d'une heure et ne manquent pas d'intérêt. De la dame écouillée, fabliau daté du XIIIème siècle par Willem Noomen dans le Nouveau recueil complet des fabliaux (tome VIII), en est un exemple savoureux, ou sulfureux, au choix du lecteur. Les fabliaux sont en quelque sorte le pendant populaire des romans courtois : si dans ces derniers la femme est placée sur un piédestal le fabliau se charge de la remettre plus bas que terre. Question d'équilibre, sans doute. Et de public, aussi. Encore que ce fabliau s'adresse directement aux seigneurs, qu'il met en garde contre un danger plus grand qu'une invasion guerrière. Un danger si grand, en vérité, qu'il menace l'équilibre même (justement) de la société féodale. Ce danger, c'est la femme qui ne garde pas sa place.

Car la femme a une juste place, qui est dans la soumission à son époux. Un seigneur qui permet à son épouse d'outrepasser le cadre de cette soumission perd de sa dignité autant qu'il menace la structure même de la société. C'est ce qu'entend rappeler l'auteur de ce fabliau, en l'illustrant convenablement par un exemple édifiant. Ainsi commence le récit de La dame écouillée.

Le titre annonce la couleur. Et Claire Debru d'en rajouter, dans sa préface, pour appâter le lecteur, en évoquant le gore, ce registre moderne (ou post-moderne) qui tire sa légitimité de l'étalage sadique de sang et de souffrance. Tels sont les ingrédients que nous annonce C. Debru. En exagérant quelque peu. Car le lecteur alléché parviendra à la fin de l'histoire en ayant finalement vu couler peu de sang, et été le témoin d'une cruauté somme toute modérée. Certes, le traitement infligé à la dame éponyme n'appartient pas à la catégorie des sorts enviables ; mais de là à y voir un exemple de cruauté extrême, à la limite du soutenable, il y a un pas. Et c'est d'ailleurs fort heureux.

Car le plaisir que l'on prend à ce fabliau - comme à d'autres - serait gâché par une cruauté à la Sade ou Lautréamont. L'histoire en effet se lit comme un divertissement, avec la légèreté qu'y imprime son narrateur. Elle n'est pas exempte de cruauté, certes, et notamment à l'encontre de deux pauvres lévriers. Mais celle que réserve à la dame du titre le comte dont il est ici question est atténuée par le ton édifiant de l'ensemble. Le but est d'illustrer la morale qui sera délivrée à la fin, et non d'effrayer ni de bouleverser. Que le lecteur dégoûté par l'étalage d'inutile violence se rassure donc à l'instant d'entrer dans cette fable médiévale : il en sortira probablement content, et finalement soulagé d'avoir échappé au pire.

Forme courte, le fabliau va à l'essentiel. Les personnages et les situations sont campés et le décor planté en peu de mots. L'aventure ne manque pas de sel car elle s'appuie sur des caractères bien tranchés, donnant à chacun une place déterminée. Un comte amoureux et fier, une jeune fille mal conseillée par une mère aussi imprudente qu'impudente, un seigneur affligé d'une épouse difficile, mais qui ne se montre pourtant pas si bête : chacun finalement tirera profit de l'histoire ici contée et la société, au final, n'en sera que mieux confortée dans ses habitudes.
Toutes des salopes ? Non point. Même la dame qui justifie le titre dans le tableau final apparaît en définitive plus sympathique qu'on ne le craindrait. Et les belles-mères ne regarderont plus leur gendre de la même façon... ni peut-être leur mari. TLP
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