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31 octobre 2010 7 31 /10 /octobre /2010 10:30

ACROSS 110th STREET (MEURTRES DANS LA 110e RUE), de Barry Shear

MGM, 1973

 

Harlem Tragédie

110e 1En 1973, le cinéma américain a amorcé le courant de la Blaxploitation : des films où apparaissent en grande majorité des acteurs noirs dans des rôles de premier plan. Meurtres dans la 110e rue appartient à ce courant. Produit par son réalisateur Barry Shear et par Anthony Quinn, il bénéficie de la présence de ce dernier dans un rôle de flic fatigué, corrompu et raciste, contraint de faire équipe avec un jeune inspecteur noir (Yaphet Kotto) aux méthodes bien plus douces et dignes que les siennes. Quinn est le capitaine Mattelli, un Italien (un « macaroni », pour les caïds noirs de Harlem), qui à 55 ans sent le vent tourner : non seulement la pègre de Harlem le regarde avec mépris mais sa propre hiérarchie cherche à le mettre au placard pour le remplacer par quelqu’un de plus jeune. Kotto, lui, est le lieutenant Pope, qui ambitionne de prendre la place de Mattelli mais refuse ses méthodes brutales et entend rester honnête, autant face aux provocations des Blancs que face aux pressions et à la corruption venues de la pègre noire.

110e 5Le film dresse un tableau sombre de Harlem. Corruption, violence, désespoir forment les murs contre lesquels les habitants du quartier se frappent la tête. Tout commence par un rendez-vous dans la 110e rue ; les représentants de la pègre italienne viennent recueillir le fruit des trafics gérés par les Noirs de Harlem. Deux faux policiers noirs s’invitent à la transaction et raflent 300.000 dollars en faisant un carton à la mitraillette. Pas un mafieux ne survit. Aussitôt, parallèlement à l’enquête de la police, la pègre se met en mouvement : le parrain dépêche son fils Nick D’Salvio, une grande gueule arrogante mais taillée dans du petit bois, pour remuer le caïd Doc Johnson qui n’apprécie guère d’être bousculé sur son territoire. S’engage une partie à trois : la police, les Italiens, les Noirs. Au milieu se trouvent les auteurs du hold-up. Pour eux, ce coup signifiait une richesse inaccessible par des moyens honnêtes, la liberté, l’autonomie. Pour Jim Harris, tout juste sorti de prison, l’espoir d’une vie débarrassée des larcins par lesquels il a survécu jusque là, alors que, à 42 ans, souffrant en plus d’épilepsie, il n’avait d’autre horizon que la misère et la nécessité pour son amie de vendre son corps dans un club. Pour Joe Logart, le moyen de bazarder son pressing, de fuir le mépris des Blancs et une vie de labeur mal payé. Et pour Henry J. Jackson, l’occasion de flamber, de jouer les seigneurs, de s’offrir la drogue, l’alcool et les femmes sans songer au lendemain.

110e 4bisJackson est celui par qui le drame se précipite. Son incapacité à patienter et à se faire discret attirent forcément l’attention des truands. On le trouve, on le torture, on finit par lui couper les roustons et il meurt dans l’ambulance sous les hurlements de Mattelli qui essaie de lui faire dire ce qu’il sait. Vient ensuite le tour de Logart, puis de Harris. Toujours les truands ont un temps d’avance sur la police, même si Mattelli et Pope finissent par trouver un terrain d’entente. A chaque étape, la violence, le sadisme, le sang et les coups. La peur, aussi, car le film baigne dans cette émotion poisseuse autant que dans la misère visible dans chaque lieu, matérielle ou morale. La fin est prévisible et donne à l’ensemble un aspect tragique ; pour Harris et ses complices, il ne peut y avoir d’issue. L’inconnue réside dans le sort de D’Salvio et de Doc Johnson, dans celui de Mattelli aussi.

La poésie de cette histoire tragique ? Une scène du dénouement, lorsque le voleur malheureux jette, avant de mourir, le sac plein de billets dans une cour en contrebas où jouent des enfants. Sur le toit, des pigeons en cage. Dans la cour, des humains qui se jettent sur le sac pour picorer son contenu. L’argent, c’est la nourriture qui leur manque à tous. Rien qu’une histoire de nourriture, de survie.

Dernière image du film : la main d’un Blanc dans celle d’un Noir, mais le temps d’un dernier soupir sur un toit de Harlem maculé de sang. Qui sort vainqueur de l’histoire ? Le truand Doc Johnson, qui tire les ficelles sans quitter son antre, où il est protégé par ses gorilles vêtus de longs manteaux colorés et coiffés de chapeaux blancs. Bye bye les Ritals, bonjour la pègre noire, qui garde le contrôle des rues. C’est poignant, terrible, sans espoir.

Thierry LE PEUT

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