THE DESPERATE HOURS (LA MAISON DES OTAGES), de William Wyler
Paramount, 1955
Trio grunge pour banlieue chic
Tiré d’une pièce de théâtre, The Desperate Hours est un film statique, qui se déroule en plusieurs lieux mais essentiellement dans la maison dont des gangsters ont pris en otages les occupants. Le scénario déroule en parallèle les événements qui se produisent dans cette maison et l’enquête qui conduira les policiers à cette maison pour le dénouement. La part des policiers est réduite à la portion congrue et prise en charge par Arthur Hunnicutt, qui incarne le detective ayant fait incarcérer les prisonniers évadés.
Tout commence et tout finit, donc, dans une maison « typique » d’une banlieue américaine « typique » habitée par une famille américaine évidemment « typique ». Le père est chef d’entreprise, la mère est au foyer, la grande fille de dix-neuf ans – devenue femme sans que son père s’en rende compte – travaille au bureau de son père et sort avec un juriste, enfin le petit garçon n’a que huit ans (à peu près) mais commence déjà à jouer les durs, contestant l’autorité parentale et insistant pour être traité « comme un grand ». C’est l’âge où l’on rechigne à se laisser embrasser et où l’on demande à papa d’être un modèle viril. Toutes ces informations, données dès les premières minutes du film, vont jouer un rôle dans la suite.
Le film s’appuie sur deux têtes d’affiche : Fredric March et Humphrey Bogart. Ce dernier campe le chef des bandits, Clem Griffin, et se heurte à la force de caractère de Fredric March en chef de famille qui se découvre plus « dur » qu’il ne le croyait lui-même, alors que Griffin se révèle moins maître de la situation qu’on ne pouvait le penser au départ. De cet affrontement entre les deux hommes dépend l’efficacité du film, qui livre par ailleurs une peinture sociale dénuée d’originalité. Il s’agit, précisément, de placer une famille américaine typique dans une situation extraordinaire et de voir comment elle réagit. Le comportement des bandits est lui-même « balisé » : Griffin est un teigneux mais sa prudence l’empêche d’être réellement dangereux ; on sent très vite qu’il ne souhaite pas commettre d’impair et aggraver une situation qu’il juge suffisamment complexe. De même, son jeune frère Hal, dont on peut penser d’abord que le désir non dissimulé qu’il éprouve pour la jeune fille peut devenir menaçant, se révèle finalement un jeune homme timoré, complexé par ses origines sociales et sa situation de prisonnier évadé. Loin de tourner sa colère, ou son amertume, contre les « braves gens » dont il a envahi la maison, il en veut plutôt à son frère de ne lui avoir appris que le crime, alors qu’il aspire à une vie normale. Le jeune homme est en définitive une figure de victime. Reste le troisième bandit, colosse simplet dénué de sens moral, la brute du lot, dont l’agressivité peut se tourner aussi bien contre ses complices que contre les otages. Taillé d’une seule pièce, il ne suscite aucune compassion mais ne parvient pas non plus à inquiéter réellement. Représentant la brutalité extérieure qui envahit l’univers très policé de la petite bourgeoisie, les bandits accusent le fossé social qui les sépare de celle-ci mais restent eux-mêmes, finalement, des figures relativement « policées ». La part du crime en eux s’explique, au fil des scènes, de manière simple : rancœur chez Clem Griffin, qui présente un mélange sans surprise d’aigreur à l’encontre des « nantis » et d’un besoin de commander, le tout enveloppé de paranoïa ; mauvaise influence du grand frère chez Hal Griffin ; enfin, absence de conscience morale chez la brute, plus proche de l’animal que de l’homme civilisé.
Du coup, tout ce monde étant finalement plutôt sage, le film a considérablement vieilli. Non seulement parce qu’il se déroule dans un univers très daté, mais aussi parce que les réactions des personnages manquent de caractère et d’épaisseur. Non qu’elles ne soient pas vraisemblables. Mais elles s’inscrivent dans un carcan dont aucun personnage ne s’extrait vraiment. Les otages forment une entité familiale unie, au sein de laquelle les velléités contestataires du petit garçon appellent un sourire indulgent bien plus qu’elles n’ouvrent une porte à un véritable écart. Elles nourrissent un ou deux rebondissements mais le garçon a vite fait de réintégrer la place qui est celle du petit garçon dans un noyau familial aussi bien ordonné. De même, la relation entre la jeune fille et son fiancé, qui la sort sans se douter de ce qui se passe dans la maison de ses parents, est d’une platitude qui peut agacer, Wyler filmant les « pics » de tension avec une indifférence qui contient l’émotion et n’aide pas franchement à la porter jusqu’au cœur du spectateur. On reste en fait dans le mélodrame pur : la scène où le fiancé, enfin informé, revient chercher sa dulcinée pour la sortir du guêpier et menace d’entrer dans la maison si elle ne sort pas elle-même, tout cela en feignant de ne rien savoir de la présence des malfaiteurs, est exemplaire de ce point de vue. On y voit la fille et la mère, l’une refusant de sortir, l’autre la pressant de le faire, finalement paralysées dans l’escalier au moment où le fiancé menace de pousser la porte derrière laquelle, bien sûr, se tient le plus gros des bandits, qui ne demande pas mieux que de tuer.
L’ensemble du film apparaît ainsi comme le spectacle très sage d’une crise plus théorique que viscérale. Tous les personnages agissent en fonction des codes de leur milieu et aucun ne se montre surprenant. Ce qu’illustre finalement le shérif du comté, exigeant un papier dûment signé le dégageant de toute responsabilité lorsque le policier fédéral décide de ne pas suivre ses directives. L’histoire est le récit de cette crise, à l’issue de laquelle le père et le gangster se dressent l’un en face de l’autre. Sans surprise, le père de famille renonce à abattre lui-même le bandit, qui embrasse la mort en refusant de se rendre et finit sur la pelouse, à côté du vélo de petit garçon qui y a traîné durant tout le film. Le dernier plan montre l’ordre retrouvé et même conforté : la famille réunie regagne l’intérieur de sa maison, le petit garçon a renoncé à ses velléités contestataires et le fiancé, que le père jusqu’alors n’avait pas encore admis dans la famille, est invité à entrer lui aussi. The end.
Thierry LE PEUT