Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
5 juillet 2011 2 05 /07 /juillet /2011 20:11

AINSI REVENT LES FEMMES, par Kressmann Taylor

Autrement, 2006 – Livre de Poche, 2008

 

Lire aussi la chronique de Ainsi mentent les hommes

 

kressmann taylor - ainsi rêvent les femmesPersonnages en quête de vie 

Le destin d’écrivain de Katherine Taylor est insolite. Née Kressmann en 1903, d’origine allemande, elle épouse Elliott Taylor en 1928. Son roman Inconnu à cette adresse, écrit en 1938, est publié sous le nom de Kressmann Taylor parce que, selon son éditeur Whit Burnett il est trop bon pour avoir été écrit par une femme ! Le pseudonyme choisi fait en effet disparaître la féminité de l’auteur. Réédité en 1995, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la libération des camps de concentration, le roman est enfin publié en France où il se vend à 600 000 exemplaires. Succès reconnu dans de nombreux pays, il fait connaître le nom de Katherine Kressmann Taylor (l’auteur retrouve alors son patronyme, mais pas dans toutes les éditions). On (re)découvre alors les autres romans et nouvelles de l’écrivain, dont les nouvelles écrites entre les années 1930 et 1960 et publiées en France sous les titres Ainsi rêvent les femmes et Ainsi mentent les hommes.

 

Ainsi rêvent les femmes contient cinq nouvelles, dont quatre ont pour personnage principal une femme et une seule un homme (encore que les femmes y jouent aussi un rôle important). Le thème de l’amour, et celui du « sens » de la vie, relie ces cinq textes. L’écriture de Kressmann Taylor y est sensible, très attentive à la nature, aux couleurs (guettez les nombreuses occurrences du rouge et du bleu, qui accompagnent partout les personnages et dont l’auteur semble faire les couleurs primaires de l’amour) et, bien sûr, aux émotions. Les protagonistes de ces nouvelles peuvent être de tous les âges, et leur expérience de l’amour, ou de ce mouvement vital qui remue le tréfonds des êtres, est vécue sur le double mode de la révélation et de la douleur. Kressmann Taylor empreinte les voies du rêve, de l’adolescence, du retour au pays natal, ou simplement de la générosité embarrassée, pour accompagner durant un court moment de leur vie ces femmes et ces hommes qui se débattent entre les élans du cœur et de la raison. Regret, nostalgie, maladresse se disputent l’esprit inquiet de ces personnages pour qui l’amour se conjugue avec la solitude, le désir avec l’amertume.

 

Dans « Harriet », c’est par le truchement d’un rêve évidemment étrange que l’écrivain approche l’âme blessée d’une femme dont l’amour a péri dans les flammes, peut-être en raison de la jalousie d’une rivale. Dans « Anna », une adolescente découvre en quelques heures la frustration de la jeunesse, l’élan du premier amour et la solitude de la déception. Ce faisant, elle s’engage sur la voie de l’âge adulte. Dans « Madame », c’est une narratrice à la générosité spontanée qui se retrouve otage d’une vieille dame en mal d’attention et d’affection, désespérément enfermée dans un passé où elle voudrait se soustraire à la cruelle indifférence du présent. Dans « Ellie Pearl », sans doute la plus touchante de ces cinq nouvelles, une jeune femme revient dans les montagnes qu’elle a quittées pour aller travailler en ville ; partagée entre son aspiration à une autre vie et la nostalgie du monde qu’elle a quitté, et dont elle retrouve les sensations intimes et familières, elle ressent l’appel du désir – et se demande si elle doit s’y abandonner, et renoncer à ses aspirations au profit d’un avenir sans surprise. Enfin, dans « Rupe Gittle », un homme parvenu à la cinquantaine fait brusquement l’expérience d’une révélation et cherche à comprendre cette chose secrète et indicible que certains êtres ont en eux et qui paraît être l’essence même de la vie. Au risque d’être incompris de tous, et objet de la risée générale.

 

Si ces histoires mêlent la douceur à l’amertume, jamais Kressmann Taylor n’y est cruelle. Bien au contraire, elle accorde à ses personnages une bienveillance jamais prise en défaut, qui permet au lecteur de s’identifier à leur tourment ou à leur quête. On ressent dans chacune de ces nouvelles la soif de la vie, le souci d’inscrire l’homme (quel que soit son sexe) dans un monde ouvert, auquel il participe, même s’il peine à en comprendre le sens et à en maîtriser les clés. Le point commun des protagonistes de ces cinq histoires est qu’ils ne contrôlent pas les émotions qui les assaillent, mais qui les mettent, surtout, au contact de la vie telle qu’elle est.

Thierry LE PEUT

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

B
<br /> Chère Steph, si intention il y a dans ces titres, Katherine KT n'y est pour rien. C'est encore un choix d'éditeur ! Les nouvelles publiées sous ces deux titres ont été écrites à des époques<br /> différentes et réunies, je crois, après la mort de l'auteur. Il n'y avait donc pas chez elle (a priori) d'intention générale. J'essaierai de rendre compte ici du deuxième recueil. Soon !<br /> <br /> <br />
Répondre
S
<br /> Cette romancière gagne à être connue, l'analyse fine et sensible que vous en faîtes, Bloggieman prouve que vous n'êtes pas misogyne, à l'instar de son éditeur ! Elle s'inscrit ainsi dans une longue<br /> et belle lignée de femmes écrivaines, parmi lesquelles je vous recommande Nancy Houson et Marie N'Diaye que je lis actuellement. A part cela, y aurait-il quelque ironie de la part de Katherine<br /> Taylor d'avoir intituler deux de ses ouvrages de telle façon qu'on puisse croire que les femmes sont des éternelles rêveuses, accrochées aux idéaux qu'elles se créent ; et les hommes d'éternels<br /> baratineurs qui fuient une réalité trop pesantes ?<br /> <br /> <br />
Répondre