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10 juillet 2011 7 10 /07 /juillet /2011 12:56

COMMENT GUERIR UN FANATIQUE, par Amos Oz

"Arcades" Gallimard, 2006

AIDEZ-NOUS A DIVORCER !, par Amos Oz

NRF Gallimard, 2003

traduit de l'anglais par Sylvie Cohen

 

Le regard de l'écrivain engagé

OZ - comment guérir un fanatiqueLes trois conférences présentées dans ce recueil ont été prononcées en janvier 2002 à Tübingen, en Allemagne, par Amos Oz. La troisième d’entre elles a fait l’objet d’une publication chez Gallimard dès 2003, sous le titre Aidez-nous à divorcer !

 

La lecture de ces textes est salutaire. D’abord parce qu’Amos Oz y met en application l’un des remèdes qu’il préconise face à l’absurdité criminelle des fanatismes, responsable en partie de la situation désespérée en Palestine : l’humour. L’humour, note Oz, est un trait dont sont complètement dépourvus les fanatiques de tout poil. « Je n’ai jamais vu un fanatique avoir le sens de l’humour, ni une personne qui en soit dotée devenir fanatique, à moins de l’avoir perdu. » (Comment guérir un fanatique) Ensuite, Oz sait avec talent ramener la question ô combien compliquée du conflit israëlo-palestinien à hauteur d’homme : d’abord, en parlant de lui et en racontant comment il est devenu écrivain, ce qui l’amène, après une série de digressions qui sont en fait des illustrations de la pensée qu’il forme, à évoquer la situation dans son pays (Se glisser dans la peau de l’autre) ; puis en s’employant à définir la notion même de fanatisme, nous rappelant par là même que cette tare menace n’importe lequel d’entre nous, y compris les anti-fanatiques : l’anti-intégrisme forcené se tient lui-même à la lisière du fanatisme (Comment guérir un fanatique) ; enfin, en délaissant les grandes idées distordueOZ aidez nous à divorcers des politiques de tous bords pour ramener le conflit sur le terrain qui, selon l’écrivain, est vraiment le sien : non une querelle religieuse mais une querelle de territoire (Un conflit entre deux causes justes, précédemment publié sous le titre Aidez-nous à divorcer !).

 

Cette lecture est donc salutaire parce qu’elle est réflexion sur l’homme autant que réflexion sur le conflit israëlo-palestinien. Et l’on ne peut contester l’implication de l’écrivain dans la recherche d’une solution au conflit : cofondateur du mouvement « La paix maintenant », il a aussi participé à la rédaction des accords de Genève, dont un post-scriptum est publié ici à la suite des trois conférences. Celles-ci sont tournées vers un but essentiel : plaider pour la solution des deux Etats, seule sortie possible du conflit aux yeux d’Amos Oz.

 

En parlant de son expérience d’écrivain, Oz explique en fait combien la faculté de se mettre à la place de l’autre (quel qu’il soit) est indispensable pour appréhender ce conflit, comme d’ailleurs n’importe quel conflit. Car la situation en Palestine ne met pas face à face des bons et des méchants, comme dans un western, mais deux « parties » qui ont chacune raison de se quereller. C’est là l’une des idées centrales des conférences de l’écrivain. Et il se tourne vers l’Europe, notamment, pour lui dire : cessez donc de chercher un bon et un méchant, de donner des leçons à l’un ou à l’autre, et aidez plutôt, de façon intelligente, les deux camps à se mettre d’accord ! Les solutions que propose Amos Oz au fanatisme, c’est en lui-même qu’il les trouve, et dans son expérience d’écrivain : l’humour, on l’a dit, et sa complice, l’auto-dérision ; mais aussi l’imagination. « J’aimerais à présent affirmer que la littérature est la panacée parce que c’est un antidote au fanatisme, grâce à l’imaginaire. »

 

« En fait, je suis devenu écrivain à cause du dénuement, de la solitude et des crèmes glacées. » On ne peut mieux appâter le lecteur (ou l’auditeur) qu’en commençant comme le fait Oz dans Se glisser dans la peau de l’autre. A chacun de découvrir comment il développe cette entrée en matière. Mais il en vient très vite à Jérusalem. Et le fait qu’Oz soit juif, qu’il connaisse très bien Jérusalem, qu’il vive encore en Israël, dans le désert du Néguev, d’en donne que plus de poids à la vision de Jérusalem, de la ville et de son peuple, qu’il trace ici. A Jérusalem, dit-il, tout le monde discute, personne n’est d’accord. Même un chauffeur de taxi sait comment en finir avec un conflit qui dure depuis des décennies. Tout ce que dit Oz des chauffeurs de taxi hiérosolymitains est savoureux, et il y revient dans Comment guérir un fanatique ! « Les Juifs ne s’entendent jamais », déclare, péremptoire, Oz. « Ce n’est pas pour rien que l’on ne trouve jamais deux Juifs du même avis – voire un Juif en accord avec lui-même ». L’écrivain prend jusqu’à la Bible à témoin, en citant des épisodes des Saintes Ecritures où l’on voit Abraham ou les prophètes discuter avec Dieu lui-même ! Au-delà de l’humour, Oz nous renvoie, tous, à nos propres contradictions et au simple plaisir de discuter, voire de discutailler. Un plaisir qui se mue en tragédie dès lors qu’on l’applique à deux peuples en guerre. La perspective peut paraître audacieuse mais elle s’inscrit dans le message d’ensemble que veut délivrer l’écrivain : il arrive un moment où il faut cesser de discuter pour rien, où il faut considérer les choses avec réalisme et courage. Israëliens comme Palestiniens doivent accepter des renoncements douloureux s’ils désirent vraiment mettre fin au conflit.

 

Avec Un conflit entre deux causes justes, la dernière des trois conférences, Amos Oz considère le conflit non plus depuis sa table d’écrivain mais frontalement, avec lucidité. L’unique solution, dit-il, est le compromis, et celui-ci ne peut être que douloureux. Mais le compromis, ajoute-t-il, est la vie même. Point de vie sans compromis. La conférence fait toutefois le constat que le refus du réalisme est visible surtout chez les hommes politiques : les deux peuples, eux, ont déjà compris que le compromis était inévitable. Ils sont prêts à l’accepter, l’appellent de leurs vœux même, en dépit des sacrifices douloureux qu’il impliquera. Mais l’écrivain est conscient aussi qu’il y a urgence : attendre encore, soutenir les gouvernants actuels qui durcissent le ton au lieu de travailler au règlement du conflit, c’est mener le pays à la catastrophe, une fois encore. Car, bientôt, pour une simple raison démographique, l’état juif ne sera plus constitué majoritairement de Juifs. Et l’Etat d’Israël se sera lui-même condamné à une situation de fait, irrémédiable désormais.

Thierry LE PEUT 

 

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