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4 décembre 2021 6 04 /12 /décembre /2021 17:28

THE WITCHER / SORCELEUR

1. LE DERNIER VŒU

Andrzej Sapkowski

1993

 

Que le Sorceleur de Sapkowski soit un parent d’Elric le mélancolique héros de Michael Moorcock ne soulève aucun doute pour moi. Les cheveux blancs, le surnom de Loup Blanc, la nature solitaire du héros suffisent à esquisser un lien, que Sapkowski suggère lui-même dans le récit « Le moindre mal », en faisant dire à un homme qui se moque du Sorceleur : « Ça doit être un albinos (…). Un albinos, un mutant, un caprice de la nature. Dire qu’on laisse ces gens-là entrer dans les cabarets, au milieu des braves gens ! » Ce mépris qu’inspire le héros est un autre point commun.

Cela étant posé, le Sorceleur Geralt de Riv et Elric le dernier prince de Melniboné ont des caractères bien différents et les aventures du second ne sont pas, loin s’en faut, une imitation de celles de son ténébreux inspirateur. C’est juste un air de famille, une sorte de filiation en filigrane. Le ton tragique des aventures d’Elric est à mille lieues de celui, ironique, des contes de Sapkowski. Une ironie assumée qui constitue l’un des plaisirs de la lecture du Sorceleur. Incarné par Henry Cavill dans la série Netflix, le Sorceleur perd un peu de cette ironie avec laquelle Sapkowski s’amuse avec et de son personnage, comme il s’amuse avec les sources auxquelles il puise pour composer ses récits, qui mêlent les contes de notre enfance, ceux des mythologies nordiques et l’univers de la fantasy.

Le dernier vœu, premier volume de la série Sorceleur, est composé de six nouvelles (comme des épisodes d’une série) enchâssés dans une septième qui est filée sur l’ensemble du volume, découpée en sept parties. Résumons rapidement ces six nouvelles :

« Le Sorceleur » : à Wyzima, Geralt de Riv est engagé pour désenvoûter ou tuer une strige qui sort toutes les nuits de son caveau pour faire des victimes.

« Un grain de vérité » : dans un palais au fond des bois, le sorceleur rencontre un humanoïde à tête poilue (comme celle d’un ours) qui dissimule un secret et il devra affronter une brouxe (une vampire) avant de pouvoir sortir de cette histoire.

« Le moindre mal » : à Blaviken, Geralt de Riv se trouve embarqué dans une histoire de vengeance entre le magicien Stregobor et une femme, Renfri, déterminée à le tuer. Le sorceleur en sortira avec le surnom de « boucher de Blaviken ».

« Une question de prix » : à Cintra, Geralt de Riv est engagé par la reine Calanthe pour des raisons qu’il peine à démêler, et il participe à un grand moment de magie où s’illustrent une princesse à marier et un prétendant quelque peu hérissé, moment au terme duquel il se fait payer par une promesse qui l’engage pour longtemps.

« Le bout du monde » : Geralt de Riv et son compagnon Jaskier le troubadour ont maille à partir avec un « diabolo », ou un diable si vous préférez, qui n’est que la part apparente d’un récit plus complexe qui les met en présence d’elfes non assimilés avant de leur faire rencontrer la Vivette, Danamebi, Dana Méabdh, une Vierge blonde venue des temps anciens.

« Le dernier vœu » : en donnant son sous-titre au volume, ce récit se signale comme sa pierre d’angle. On y assiste à la rencontre entre Geralt de Riv et Yennefer de Vengerberg, une magicienne envoûtante et dangereuse dont s’éprend, pour le meilleur ou pour le pire, le Sorceleur.

Le septième récit, celui qui se poursuit entre chacun de ces épisodes, s’appuie sur la répétition de la formule qu’il prend pour titre, « La voix de la raison », et place le sorceleur sous la protection de Nenneke, prêtresse de Melitele, le temps qu’il se remette des blessures que lui a infligées la strige de Wyzima. « Liant » plus qu’épisode en soi, encore qu’il se termine par un duel qui peut constituer un épisode, ce septième récit propose une réflexion sur le personnage du sorceleur, à l’égard duquel son amie Nenneke ne manque pas d’ironie (nous y revoilà), ou de lucidité, comme d’ailleurs Yennefer dans « Le dernier vœu », d’une lucidité qui perce le voile d’héroïsme dont le sorceleur peut paraître entouré – ou s’entourer lui-même.

Un style immédiatement séduisant se dégage de Sorceleur. Le conte et la magie y côtoient le mystère, les récits jouant aussi avec les codes du policier, à base d’indices semés et de dévoilements qui amènent à reconsidérer l’ensemble de ce qui s’est déroulé auparavant. Geralt de Riv se dessine comme une force que peu de choses, êtres ou événements, impressionnent profondément et qui accueille les dangers avec un esprit raisonné. Il ne dédaigne pas les discours (ce que lui reprocheront tant Nenneke que Yennefer, se moquant de sa tendance à l’éloquence) et le livre en contient un certain nombre, joutes verbales entre le sorceleur et tel interlocuteur. Plusieurs personnages se font eux-mêmes un devoir de conter des histoires auxquelles l’auteur ne refuse pas plusieurs paragraphes, voire plusieurs pages, donnant libre cours au plaisir de conter qui inclut, entre autres procédés, la création de parlers variés, souvent colorés. Loin d’être des silhouettes sans caractère, les personnages que rencontre Geralt de Riv brillent souvent par leur éloquence, eux aussi, et possèdent leurs travers comme leurs secrets, parfois cocasses. Même les adversaires du sorceleur ont leurs aspects amusant ou décalé, comme ce seigneur à tête poilue qui, de monstre, se transforme en l’espace d’un dialogue savoureux en hôte jovial tout en conservant une ambiguïté inquiétante (« Un grain de vérité »).

Le plaisir du conteur se reconnaît également dans le florilège de mots plus ou moins existants, inventés ou composés qu’invoque l’auteur pour décrire (ou simplement évoquer, par le plaisir de la liste) force monstres et créatures de toutes sortes, si bien qu’au terme du volume on a entendu (et imaginé) bien plus d’êtres insolites que l’on n’en a réellement croisé dans les différentes aventures du sorceleur. Pour une créature affrontée, ce sont cinq, dix, quinze autres qui promènent leur ombre dans les propos des personnages ou la narration de ces aventures. De même pour les plantes et autres médecines qui agrémentent le récit, notamment dans « La voix de la raison 6 » qui nous fait entrer, à la suite de Geralt, dans la grotte où le soigne Nenneke. Un véritable inventaire à la Flaubert.

Tout cela compose un divertissement plaisant, vif et bien écrit (et comme je ne lis pas le polonais j’en remercie la traductrice Laurence Dyèvre) qui rend la lecture du Sorceleur agréable de bout en bout et donne envie de poursuivre l’aventure. Ce qui tombe bien, évidemment, puisque la série compte quinze nouvelles et six romans, sans compter le film polonais et la série qui l’a prolongé (en 2001 et 2002), les jeux vidéo et la série Netflix. De quoi s’y replonger à loisir.

Thierry LE PEUT

 

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