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25 août 2013 7 25 /08 /août /2013 20:15

L'ENFANT MAUDIT et LA MORT DES NATIONS, de David Gemmell

alias LE LION DE MACEDOINE I et II, Folio SF, 2002

Gemmell, 1990 - Mnémos, 2000

 

      GEMMELL - Lion I  GEMMELL - Lion II-copie-1

 

La Grèce fantasmée de David Gemmell

L’enfant maudit et La Mort des Nations, les deux premiers volumes de la quadrilogie Le Lion de Macédoine, forment en fait le premier tome du diptyque de David Gemmell comprenant Lion of Macedon et Dark Prince.

David Gemmell choisit pour personnage principal Parménion, l’un des officiers de Philippe II de Macédoine puis de son fils Alexandre, qu’il accompagnera dans sa conquête de la Perse où, tombé en disgrâce, il sera finalement exécuté sur ordre d’Alexandre. Le peu d’informations dont on dispose sur Parménion (dont l’Histoire suit simplement le parcours associé aux deux rois de Macédoine) donne toute latitude à l’écrivain d’imaginer au personnage la vie qu’il souhaite.

On découvre Parménion à Sparte. Agé de quinze ans, il est le fils d’un Spartiate héros de guerre et d’une Macédonienne. En tant que tel, il n’est pas un « pur » Spartiate et se voit harcelé par une partie de ses jeunes acolytes de l’école où il apprend, comme tout Spartiate, la discipline. Parménion est un paria, auquel on donne plus volontiers le nom de Savra, le lézard. S’il n’a guère qu’un ami, Hermias, Parménion attire bientôt l’attention d’un autre « métèque » (le terme, dans l’Antiquité grecque, désigne l’étranger qui réside dans une ville dont il n’est pas originaire), le général Xénophon. Personnage historique réel, celui-ci a combattu comme mercenaire en Perse, où il a connu la défaite avant d’écrire l’histoire de son errance en terres perses pour rejoindre son pays (il s’agit de l’Anabase, dont l’Histoire a retenu le cri célèbre des Grecs arrivant enfin en vue de la mer, « Thalassa ! Thalassa ! ». Athénien, Xénophon est à Sparte l’un des conseillers du roi Agésilas, dont le neveu Léonidas (non pas le roi de Sparte qui mourut aux Thermopyles mais l’un de ses descendants) est l’un des compagnons de Parménion à la caserne. Tous deux élèves doués, Léonidas et Parménion sont rivaux, mais Léonidas entend triompher dans les règles et ne s’associe pas à la cabale dont est victime Parménion. Tous deux s’affrontent dans un jeu destiné à récompenser le meilleur élève de Sparte et dont l’enjeu est une épée ayant appartenu au légendaire roi Léonidas. Grâce à ses talents de strategos (général), Parménion arrache la victoire et emporte l’épée. C’est dans cette épreuve qu’il gagne le respect de Xénophon, lequel devient son mentor.

Ainsi commence l’histoire de Parménion. De Sparte à Thèbes, puis de la Perse à la Macédoine, Gemmell retrace son histoire en lui donnant un rôle majeur dans la grande Histoire : c’est ainsi à Parménion qu’est due la défaite de Sparte à la bataille de Leuctres, mais c’est lui aussi qui conduit la rébellion thébaine contre Sparte, en conseillant les généraux Pélopidas et Epaminondas. Plus tard, c’est encore Parménion, parfois surnommé le Lion de Macédoine (ou simplement Leon, qui veut dire lion), qui permet au roi Philippe de vaincre les Illyriens sur le point d’envahir son royaume. En mêlant l’histoire de Parménion à celle des figures plus illustres de l’Histoire, Gemmell ouvre aussi une fenêtre originale sur ces dernières, en croisant réalité historique et fiction pure. Ainsi découvre-t-on Philippe à quatorze ans, otage du roi de Sparte (fils du roi de Macédoine Amyntas, le jeune Philippe a été envoyé à Sparte comme garantie de soumission de la Macédoine à Sparte), avant de le voir grandir parallèlement à Parménion.

Mais l’œuvre de Gemmell est aussi un roman de fantasy. Si la Grèce antique fournit davantage qu’une toile de fond, Gemmell y fait néanmoins intervenir des éléments que l’Histoire aurait grand peine à cautionner. Ainsi Parménion est-il suivi depuis son enfance par une devineresse, une prêtresse de la Source, Tamis, qui a vu dans l’avenir que lui seul serait en mesure d’empêcher le règne du seigneur du Chaos, Kadmilos. Ce dernier a également ses séides et l’histoire du Lion de Macédoine s’inscrit dans l’éternel combat que se mènent l’ombre et la lumière, ici le Chaos et la Source. Aussi la magie occupe-t-elle une place grandissante dans le livre à mesure que l’aventure progresse. Dans la dernière partie du premier volume (c’est-à-dire du deuxième titre dans l’édition Folio SF), l’âme de Parménion porte le combat jusque dans les Enfers où elle reçoit l’aide du légendaire Léonidas et de ses trois cents braves, mais également d’un allié inattendu, que l’on croise à plusieurs reprises dans le livre : le philosophe Aristote, futur précepteur d’Alexandre le Grand, ici présenté comme un magus, un magicien.

C’est une fresque historico-fantastique que compose David Gemmell. Le premier volume couvre les années 389 à 356 avant J.-C., se refermant sur la naissance d’Alexandre après une série d’intrigues où Olympias, l’épouse du roi, est présentée comme l’un des instruments du Chaos, son enfant étant destiné à accueillir l’âme noire de Kadmilos. Parménion, bien entendu, joue un rôle majeur dans ces intrigues. Gemmell sait créer une tension croissante en privilégiant d’abord l’Histoire – la partie spartiate repose sur une sérieuse documentation historique – puis en donnant progressivement davantage d’importance à la magie. L’Histoire et la fantasy n’excluent évidemment pas la romance : elle prend ici la forme d’aventures amoureuses successives mais se cristallise autour d’une figure principale, amour éternel et tragique de Parménion pour la Spartiate Dérae, offerte en sacrifice à l’esprit de la devineresse Cassandre après avoir déshonoré sa famille et celle de son fiancé en aimant le « sang mêlé ». Cet amour tragique, forcément malheureux, achève de donner à Parménion un moteur que sa situation de paria avait fait naître en lui : la haine. Figure sombre et tourmentée, Parménion est ainsi un héros noir qui inquiète et dont l’histoire peut être vue comme un élan vers la rédemption.

Si la personnalité de Parménion est inventée par Gemmell, celle de Philippe recoupe des sources plus précises et, en outre, a déjà été illustrée en littérature comme au cinéma. Gemmell en fait un jeune homme plutôt sympathique, mais au caractère déjà bien trempé, dont l’accession au trône accusera les traits plus sombres et brutaux. Amateur de chasse, venu au trône malgré lui, Philippe est capable de clémence autant que de violence ; à la fois emporté et calculateur, il se révèle inquiétant à mesure que son pouvoir grandit, faisant écho à l’image que l’Histoire a laissée et qu’illustrait notamment l’Alexandre d’Oliver Stone.

Les amateurs d’Histoire s’amuseront à faire dans ce livre la part de la réalité et de la fiction, la première cédant à la seconde à mesure que Parménion prend part aux événements de Macédoine. C’est que l’écrivain ancre son récit dans l’Histoire pour mieux développer ensuite son conte noir – et conventionnel – de lutte éternelle entre l’ombre et la lumière. Ne vous y trompez pas, cependant : si c’est l’Histoire qui vous intéresse, mieux vaut aller la chercher ailleurs. Même s’il est documenté, le livre se sert de personnages, de lieux et d’événements sans avoir vocation à l’exactitude. C’est une manière plaisante (fun) de revisiter l’Histoire mais le récit s’en affranchit rapidement. Surtout, on a le sentiment que toute la première partie, qui puise davantage dans la documentation, n’est là que pour « faire attendre » le lecteur jusqu’à la seconde, où, entrant davantage dans la fantasy donc dans son véritable sujet, Gemmell délaisse sa documentation et se concentre sur la lutte des forces du bien et des forces du mal (ou de l’ombre et de la lumière, selon les termes du livre, mais cela revient au même).

Bien que l’éditeur veuille voir dans ce Lion de Macédoine l’un des récits les plus achevés de David Gemmell (« son œuvre la plus aboutie », clame la quatrième de couverture de l’édition Folio SF), l’œuvre n’a pas la même âpreté ni la même évidence que d’autres récits de l’écrivain, comme Waylander ou Dark Moon. La volonté d’écrire une fresque amène semble-t-il l’auteur à délayer son récit, qui n’est pas sans longueurs. Les événements sont par ailleurs très convenus et l’ensemble de ce premier tome ne recèle, en définitive, aucune véritable surprise. C’est de la belle ouvrage, on s’y laisse prendre, on peut être touché par les tourments des personnages, pourtant cette impression demeure que les incidents se succèdent sans nous prendre aux tripes, ce que réussissent davantage d’autres livres de Gemmell.

C’est du moins le cas dans cette première partie : on a bien compris que le nœud de l’histoire se trouvait dans la suite, où la promesse d’un combat épique résonne d’autant plus fort qu’elle emprunte le nom du plus grand conquérant de l’Histoire. Alexandre ! Alexandre ! Alexandre ! crie le peuple de Macédoine à la fin du livre… On attend donc de replonger dans la Grèce fantasmée de David Gemmell pour décider si le voyage a été palpitant ou simplement plaisant. Thierry LE PEUT

 

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