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9 octobre 2011 7 09 /10 /octobre /2011 17:59

THESEE REVENU DES ENFERS, par Hector Hugo

Nathan, collection "Histoires noires de la mythologie", 2008

 

Thésée revenu des enfersPrologue

Quatorze adolescents athéniens arrivent en Crète. Ils sont venus pour mourir. Ils repartiront pourtant, pour vivre. Ce sont les sept jeunes gens et les sept jeunes filles qu’Athènes envoie en Crète, au roi Minos, tous les neuf ans, pour payer un sanglant tribut. Ce sont les quatorze victimes que le roi Minos entend offrir au Minotaure, son fils, enfermé dans le Labyrinthe.

Parmi eux cependant se dresse Thésée, fils du roi d’Athènes, Egée. Thésée qui s’est offert à accompagner les malheureux enfants d’Athènes, et qui entend en finir avec ce tribut, en affrontant le Minotaure. Le secours providentiel d’une jeune fille amoureuse de sa beauté et de sa bravoure lui permet d’accomplir ce projet : Ariane, fille de Minos, lui remet une pelote de fil grâce à laquelle il retrouvera la sortie du Labyrinthe dont nul, jamais, n’est revenu.

 

***

 

Thésée revenu des Enfers s’ouvre sur cet épisode glorieux entre tous, celui qui offrit à Thésée l’immortalité dans la mémoire des hommes. Mais c’est aux années de la maturité que s’intéresse bientôt le court roman de Hector Hugo. Celles où Thésée, libéré des Enfers par Héraclès, revient à Athènes autour de laquelle il a fédéré jadis les bourgs de l’Attique. C’est un récit lucide et crépusculaire que livre Hector Hugo, en contant comment le héros de jadis, revenu parmi les siens, est acclamé puis combattu. Acclamé parce qu’il est le héros puissant qui vainquit le Minotaure et évita la guerre avec la Crète en refusant d’amener Ariane à Athènes. Acclamé en souvenir des exploits qu’il réalisa naguère, débarrassant l’Attique de redoutables bandits et d’assassins qui rendaient le pays peu sûr pour les voyageurs. Acclamé, aussi, parce qu’il offrit au peuple la démocratie : le droit d’exprimer son opinion, que l’on fût prince ou paysan, le droit de compter au rang des citoyens d’Athènes, quel que fût son rang par la naissance et par l’argent.

 

Mais Thésée est également combattu, et son retour ne suscite pas que joie et espoir. En son absence, la couronne royale qu’il déposa jadis a été coiffée à nouveau, par Ménesthée, l’un de ses compagnons d’hier dans le pays du roi Minos. Ménesthée n’entend pas renoncer à sa royauté, pas plus que Pallas, l’oncle de Thésée, qui naguère a combattu le héros et perdu la moitié de ses cinquante fils dans ce combat. Pallas s’oppose sans mystère à Thésée, Ménesthée se montre plus accueillant mais non moins déterminé : ayant réuni autour d’eux les princes, les puissants, mécontents d’avoir dû partager leur richesse et leur puissance avec les petites gens, ils s’opposent au projet ambitieux de Thésée. Celui-ci veut étendre à la Grèce entière son rêve de démocratie ; il veut que chaque cité se sente intégrée à un plus vaste ensemble où chacun aura parole égale ; il veut, ainsi, repousser les frontières de la guerre.

 

C’est l’histoire de ce combat qu’imagine Hector Hugo, s’immisçant dans les interstices des récits de Plutarque et des mythographes pour développer les derniers mois de la vie de Thésée. Celui-ci, revenu des Enfers avec des cheveux blanchis qui lui font dire que le temps désormais lui est compté, et qu’il faut agir vite, n’est pas le héros volontiers téméraire des jeunes années mais celui, plus lucide et plus sombre, de la maturité. Ayant compté d’abord sur le concours d’Héraclès qui l’a sauvé des Enfers, il apprend avec douleur la mort du grand héros, son cousin, et comprend qu’il devra composer avec les puissants qui le haïssent et le peuple qui craint la guerre et la mort. Un peuple prompt à acclamer, mais plus réservé dans l’action. Un peuple volontiers grisé par l’espoir que veut lui apporter Thésée, mais sensible aussi aux arguments de ses adversaires, qui l’accusent de cacher de sombres desseins derrière de vibrantes paroles.

 

Dans ce récit d’un homme habité par le désir de paix et de démocratie, mais qui prend conscience qu’il est sans doute en avance sur son temps, Hector Hugo fait intervenir les figures mythiques qui donnent âme et force à la vie de Thésée. C’est Médée, la Magicienne bannie, qui travaille dans l’ombre à perdre le héros que, jadis, elle voulut faire empoisonner par Egée lui-même, et qui la fit chasser d’Athènes. Ce sont Castor et Pollux, les jumeaux héroïques, venus reprendre leur sœur Hélène, enlevée par Thésée. Ici, Hector Hugo choisit de suivre la tradition la plus favorable à Thésée, celle qui prétend qu’il n’enleva Hélène qu’à la demande de son père Tyndare, pour la sauver des princes qui complotaient sa mort. La guerre des Tyndarides contre les Athéniens n’a donc pas lieu, et Hugo lui préfère la réconciliation, qui s’accorde avec le projet démocratique de Thésée, même si elle prend dans le récit la forme d’un retournement assez improbable. C’est, aussi, le pathétique Œdipe venu jusqu’à Colone avec sa fille Antigone, après avoir fui Thèbes où il se creva les yeux. Pour lui, Thésée accepte de renoncer à son projet : il quitte Athènes en échange de l’asile pour le roi déchu et sa fille.

 

Thésée revenu des Enfers est peuplé de portraits de femmes volontaires. Si Médée l’intrigante fait figure d’ombre maléfique, tapie derrière une tenture assassine, Antigone en revanche apparaît en quelques lignes comme un modèle de fierté et d’honneur, elle qui renonça à tout pour accompagner son père maudit sur les routes, et veiller sur lui. Ariane, aussi, figure fugitive du prologue, est une jeune fille déterminée, image de bravoure et de passion, et Hector Hugo entend laver Thésée de l’accusation de cruauté en expliquant qu’Ariane ne fut par lui abandonnée que pour éviter une guerre entre Athènes et la Crète. Surtout, c’est Aricie, fille de Pallas, qui se dresse in extremis comme le symbole de l’honneur d’Athènes en s’engageant à accueillir et protéger Œdipe et sa fille. Devant les rois et les princes mesquins, mus par leurs petits intérêts, elle s’avance et engage la cité tout entière, non seulement pour l’instant mais pour l’avenir.

 

***

 

Epilogue

Thésée n’a pas remporté son ultime combat. Son rêve de démocratie étendue à la Grèce entière devra attendre, car Athènes n’est pas encore prête. C’est sur l’île de Scyros que le récit conduit finalement le héros fatigué des luttes de pouvoir. Thésée cherche la paix et converse avec l’océan, devant son hôte le roi Lycomède. Mais celui-ci a été prévenu contre l’ancien roi d’Athènes par l’obscure Médée, qui a prétendu qu’il convoitait le petit trône de Scyros. Le récit s’achève alors sur l’impossible compréhension entre Thésée et Lycomède, et sur le sort funeste d’un héros qui accomplit de grands exploits et qui, au soir de sa vie, n’est plus que l’ombre courbée de ce qu’il fut naguère. Thésée épuisé songe avec philosophie à l’avenir d’Athènes et au monde des hommes, mais Lycomède abusé se méprend sur ses intentions et le pousse dans cet océan qu’il semble tant aimer.

 

La mort de Thésée, bien que narrée par une phrase poétique, conclut ainsi un roman que l’on prendrait à tort pour une œuvre uniquement destinée à la jeunesse. Certes publié à destination du jeune public par l’éditeur Nathan, Thésée revenu des Enfers est un récit adulte et grave qui emprunte le chemin des poètes antiques pour amener ses lecteurs au cœur d’une interrogation sur la démocratie et les sociétés. L’aventure de Thésée, éclairée par les exploits de sa jeunesse et visitée par les figures héroïques de la mythologie, est une aventure à hauteur d’homme, habitée par une réflexion lucide sur les enjeux et les formes du pouvoir. Une aventure vibrante et touchante qui prend volontiers des allures de poème à la gloire non seulement du héros, mais, plus encore, de l’espoir de justice et d’égalité qu’il représente.

Thierry LE PEUT

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