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7 juillet 2010 3 07 /07 /juillet /2010 16:25

MONTANA 1948, de Larry Watson

1993 (USA) - Ed. Jean-Claude Lattès 1996 (France)

10/18 domaine étranger n° 2981, 1998

 

Un drame initiatique au style limpide 

montana 1948-2« Une histoire qu'il revient à moi seul de conter. Peut-être n'en suis-je pas le detrnier témoin encore en vie, peut-être se trouve-t-il d'autres personnes dans cette bourgade du Montana qui se souviennent de ces événements aussi bien que moi. Nul toutefois ne peut prétendre avoir connu ces trois êtres mieux que moi.

Ni les avoir autant aimés. »

 

Les Etats-Unis ont amené jusqu'à nous une pléthore de clichés. L'un d'entre eux consiste en une image : ces maisons « de banlieue » toutes semblables précédées d'une barrière de piquets blancs, derrière lesquels sont cachés tous les drames, toutes les vicissitudes, tous les secrets imaginables. Dissimulés au regard des gens, mais écrasants. Montana 1948 s'inscrit dans la veine des histoires inspirées ou rattachées à cette image. La maison est celle des Hayden de Bentrock, Montana, durant l'été 1948. Le drame qui s'y noue est évoqué en quelques images dans le prologue, puis développé méthodiquement en trois parties et un épilogue.

Le narrateur, qui revient quarante ans plus tard sur l'été de ses douze ans, se souvient des événements et reconstitue autour d'eux le maillage complexe des relations familiales et des rapports sociaux au sein d'une petite ville américaine d'après-guerre. Si le coeur de l'intrigue est policier – le père du narrateur était le shérif de la bourgade – et les enjeux très classiques – un notable se révèle coupable d'agissements criminels envers les Indiennes de la région, le shérif enquête en dépit des pressions exercées par la famille la plus puissante de la ville -, la substance du roman est familiale et personnelle : car la famille en question est celle à laquelle appartient le shérif lui-même, devenu shérif après son propre père devenu riche et puissant, et le notable incriminé est son propre frère. La nature du crime – des agressions sexuelles sur les Indiennes au cours d'examens médicaux – ajoute au poids du drame, dont le déroulement inexorable ne peut épargner l'existence de cette famille une fois mis en marche.

montana 1948-1Le narrateur choisit de conter ce qu'il a vu, entendu, su et ressenti à l'époque de ses douze ans, faisant du roman un récit de passage à l'âge adulte, par la révélation des turpitudes cachées derrière les apparences respectables. C'est à travers les yeux de l'enfant que l'on appréhende les protagonistes du drame, à commencer par les parents, et surtout le père. Infirme, déconsidéré par son propre père au profit du frère « parfait » et héros de guerre, le shérif est un homme dont la force de caractère va se révéler à la faveur d'une enquête dont il cherche d'abord à esquiver la nécessité. Conscient de la difficulté à mener à terme l'instruction d'une affaire aussi scabreuse, dont les victimes ne sont « que » des Indiennes, mais paralysé surtout à l'idée d'affronter à la fois son frère et son père, le shérif trouve refuge dans le déni ; mais, une fois convaincu que son devoir est de porter au jour les événements désormais avérés, il ne lui est plus possible de fermer les yeux, de choisir le compromis, de céder devant l'intimidation.

Choisissant une construction classique en trois actes, Larry Watson construit son roman comme une pièce de théâtre, respectant la règle des trois unités (de lieu, de temps, d'action). Rien n'échappe à la logique du drame, dont le prologue a préparé le dénouement brutal. Rien n'est conté qui n'appartienne à l'expérience vécue par l'enfant, dont le regard sur le monde change et s'affine à mesure que les événements sont rapportés. Au terme du récit, ce n'est plus l'enfant mais l'adulte qui prend en charge la narration, avouant les conséquences du drame sur la construction de sa personnalité : « après ce que j'avais vu étant enfant, je ne pouvais plus croire à l'exercice de la justice ».

Classique, rigoureux, efficace, Montana 1948 est un livre qui touche par la limpidité de sa narration, l'évidence de son style.

Thierry LE PEUT

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