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3 juillet 2014 4 03 /07 /juillet /2014 18:52

 

UNE RENCONTRE INSOLITE

AVALLONE - Le lynxLe lynx, c’est Piero, trente-neuf ans, qui vit de vols et de trafics et alterne les périodes de prison et de liberté. Piero aime les belles voitures, il aime être impeccablement habillé, et parfumé. Une nuit, il s’arrête sur une aire d’autoroute avec l’idée de dévaliser le restoroute. Dans les toilettes, il rencontre un adolescent : « Deux yeux en fente mince, un peu divergents, d’un bleu indéfinissable proche de la glace. Il devait avoir seize, dix-sept ans, pas plus. Il le fixait d’un regard pâle, ahuri, sans expression. Une dizaine de piercings dans les oreilles, un au sourcil et un autre à la lèvre inférieure. Les traits irréguliers, comme si le visage avait été cassé en morceaux et recollé à la va-vite par le chirurgien de garde. A sa façon, unique sur toute la surface de la terre, il était d’une beauté fourdoyante. » (p. 13)

Cette rencontre va bouleverser la vie de Piero. Sans qu’il sache pourquoi. Piero lui prête son portable, entend qu’il cherche une voiture, propose de l’emmener. Le gamin se méfie, puis accepte. Avant de repartir, Piero dévalise quand même le restoroute. Puis il dépose le gamin devant son immeuble et continue sa route pour rentrer chez lui, où l’attend sa femme, Maria. Maria a été belle, puis à force de se faire du souci pour Piero elle a pris des cheveux gris et commencé à grossir. Elle fait du point de croix. Elle est pieuse. Piero et Maria s’entendent bien, ou se supportent. Pour Piero, c’est comme si la vie qu’il mène n’était que provisoire ; un jour tout changera. En attendant, il vole, il rapporte de l’argent sans dire d’où il vient, il disparaît quand il est arrêté, puis réapparaît sans explication, et Maria s’y est faite. Parce qu’elle n’a rien de mieux, pas autre chose à faire.

Mais Piero ne cesse de penser au gamin. Il décide de lui acheter un portable, qu’il va lui porter chez lui. L’ado semble vivre seul dans un appartement proche du taudis, qui reçoit un coup de ménage aussi fréquemment que le gamin se lave, c’est-à-dire pas souvent. Piero ne sait pas pourquoi il est revenu, ni pourquoi il pense constamment au gamin, dont il découvre le prénom : Andrea. Il sait juste qu’il a envie de le voir, d’être avec lui. Comme un fils qu’il n’a pas eu. Un fils à protéger comme il aurait voulu lui-même être protégé par son père. Il y a quelque chose d’embarrassant dans ce désir, d’irrépressible aussi. D’autant qu’Andrea le laisse entrer chez lui, accepte le portable, lui fait écouter de la musique de jeunes (Marilyn Manson) et partager un joint.

Comme le gamin n’a jamais skié, Piero l’emmène à Courmayeur. Ils partagent une chambre, et même un lit… Et Piero ne comprend toujours pas. Lui, le dur, qui n’a jamais dépendu de personne, voilà qu’il ne se reconnaît plus. Andrea témoigne à son égard d’une tendresse insolite. Il le questionne sur son mariage, sur son histoire. Piero lui parle de son père, un vrai dur, qui est parti brusquement un jour de 1983. Andrea n’était même pas né. Des parents de l’ado Piero ne sait toujours rien ; mais Andrea déclare qu’il déteste son père, et il bout en le disant, d’une rage contenue.

Mais l’ado passe aussi beaucoup de temps au téléphone, à rire avec… qui ? Des amis ? Des jeunes comme lui ? Et il se comporte toujours comme un gamin d’une liberté arrogante, prenant ce qu’on lui donne sans remerciement, sans question. Alors Piero, pris d’une colère soudaine, jalousie ?, frappe l’ado. Qui lui témoigne en retour une tendresse nouvelle, inexplicablement. En l’emmenant à l’hôpital, Piero en apprend un peu plus sur lui, sur ce qu’il a vécu, ce qu’il porte en lui.

Il existe cependant un interdit entre l’adulte et l’adolescent. Une pièce de l’appartement d’Andrea est toujours fermée à clé et Andrea a interdit à Piero d’essayer d’y entrer. Quel secret cache cette pièce ? La réponse aux questions de Piero s’y trouve-t-elle ?

Avec Le lynx, Silvia Avallone signe un récit dense, qui va droit au but, aux personnages, sans s’encombrer d’explications psychologiques. Elle décrit les actes et les pensées de Piero qui sont des actes et des pensées simples, laissant le lecteur remplir les blancs. Les éléments sont là, l’image du père, le désir de fils, l’ambiguïté de cette relation fulgurante, le trouble. Ces deux figures se ressemblent, par delà leur différence d’âge ; deux mâles marqués par la violence et le rejet, une rencontre de hasard, un amour. Homosexualité informulée ? Relation filiale de substitution ? L’écrivain a la délicatesse de laisser son lecteur choisir, sans s’interposer entre lui et les personnages.

On sait seulement que cette rencontre changera la vie de Piero.

 

Thierry LE PEUT

 

 

LE LYNX de Silvia Avallone

2011 - Liana Levi, 2012 (Piccolo n° 90)

traduit de l'italien par Françoise Brun

 

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