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23 août 2012 4 23 /08 /août /2012 10:06

DU COTE DE CHEZ MALAPARTE de Raymond Guérin

La Boîte à Clous, 1950 - Finitude, 2009

 

Guérin - malaparteL'écrivain chez lui

Raymond Guérin était un écrivain reconnu dans les années 1940-1950. Il publie toujours, notamment depuis les années 2000. Du côté de chez Malaparte est la réédition chez Finitude d’un opuscule paru en 1950 chez La Boîte à Clous, et dont le titre est un hommage au Du côté de chez Proust de Curzio Malaparte (1948), lui-même évidemment inspiré par le Du côté de chez Swann de Proust.

Récit d’un séjour de Raymond Guérin et de sa femme Sonia à Capri, dans la villa de Malaparte, en mars 1950, Du côté de chez Malaparte est intéressant par l’accès qu’il donne à la personnalité de l’écrivain italien « exilé » dans sa villa Casa Come Me (la Maison Comme Moi) – dont il sera plus tard « chassé » par les habitants de l’île, remontés contre son arrogance. Guérin admire Malaparte et cette admiration est sensible dans tout le livre ; il a toutefois l’intelligence – même si c’est pour la condamner par le mépris – de décrire la « légende » de Malaparte, l’image que s’en faisaient ses détracteurs. Une intelligence utile au lecteur d’aujourd’hui car elle donne justement de l’écrivain italien une autre image que celle que veut en avoir Guérin, une image peut-être fausse (c’est Guérin qui le dit) mais où l’on sent malgré tout la misanthropie de Malaparte, son arrogance, sa hauteur d’écrivain arrivé qui a subi durant la plus grande partie de sa vie les attaques, les insultes, la haine. L’attachement de l’écrivain à la mémoire de son chien Febo est le motif « romanesque » qui cristallise cette misanthropie, visible dans la maison elle-même, sorte d’éperon tout en angles dressé au-dessus des flots du golfe de Naples, bloc de pierre aux allures de prison dont le gris se confond avec celui des rochers dans lesquels il est construit. A cette maison, on arrive par un escalier abrupt creusé à même la roche, sorte de métaphore de l’isolement volontaire, ostentatoire, où s’est placé l’écrivain.

Guérin connaissait déjà Capri. Il y avait fait plusieurs séjours avant la guerre. Y revenir, c’était revenir sur les lieux du bonheur, compromis depuis par les années de guerre et la détention dans un camp de représailles. C’était revoir l’île associée à une image du paradis. Guérin y retrouve de nombreux amis, qui participent parfois aux conversations avec Malaparte, et Guérin rapporte aussi une conversation avec l’un d’entre eux, le peintre Raffaele Castello. Que ressort-il de ces moments d’échange, de ces quelques jours passés ensemble ? Un récit à la fois séduisant et forcément inachevé. Guérin aborde certains aspects de Malaparte mais ne fait que survoler la personnalité de ce dernier. Il la dit complexe et fascinante, sans que cette fascination soit vraiment ressentie par le lecteur. L’objet du livre, sans doute, n’est pas là ; Guérin rend compte de son séjour, il n’écrit pas une biographie de Malaparte, ni une hagiographie, même s’il rappelle un certain nombre d’éléments de la vie de l’écrivain, qui permettent à ses lecteurs de saisir le personnage dans sa complexité, dans sa continuité. Les raisons pour lesquelles Malaparte écrit ne sont qu’esquissées, comme l’est d’ailleurs la peinture de Castello, à travers un chapitre qui apparaît ici comme une pièce rapportée. Guérin s’y peint lui-même en observateur attentif, amical mais distant, admiratif mais critique. Quelques lignes établissent une comparaison entre son style d’écriture et celui de Malaparte, qui mettent en avant le talent de Malaparte, son don de « l’image saisissante », écrit Guérin ; plus loin, il écrira que Malaparte, comme tous les brillants causeurs, s’ennuie dès qu’il n’est plus le centre d’une conversation. Il a besoin de briller, d’être acteur, et ne sait pas écouter. Dans les anecdotes du passé de l’écrivain italien, que Guérin n’avait pas toutes intégrées à son texte et qui sont ici ajoutées sous forme de fragments inédits, c’est cette impression qui domine : celle d’un homme qui sait s’imposer, qui aime à mettre en scène sa propre vie, sans omettre toutefois sa sensibilité, car l’excès de sensibilité figure aussi parmi les traits « admirables » de ces grands hommes qui sont des « personnalités ». C’est une qualité du livre de Raymond Guérin que de laisser voir cet homme, et de permettre au lecteur de s’en faire sa propre idée, sans se laisser abuser par l’admiration que professe Guérin. On est sensible d’ailleurs à la virulence dont fait preuve ce dernier à l’égard des détracteurs de Malaparte, ces lâches, ces benêts qui inventent des histoires pour discréditer un homme qui leur est supérieur, et qu’ils méprisent pour cela même qu’il les dépasse. Si sincère que soit le mépris de Guérin pour ces gens, le lecteur, lui, perçoit ce qu’il y a de vrai dans les reproches faits à Malaparte, et referme le livre de Guérin en se souvenant qu’en tout homme il y a un être sensible et sincère, ce qui ne veut pas dire sympathique.

C’est cette image de Malaparte que donne, volontairement ou non, le livre de Raymond Guérin. Celle d’un homme certes sensible, sujet au doute, qui s’impose par la puissance de sa personnalité, avec la même « entièreté » que sa maison sur la côte capriote. Un bloc dressé fièrement devant le mépris de tous, et qui leur dit, en les défiant : « J’ai réussi ! »

Thierry LE PEUT

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