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6 février 2023 1 06 /02 /février /2023 11:22

LA DECOUVERTE DE L’AMERIQUE PAR LES TURCS

Jorge Amado

1994 (Stock, 1992, réédité en 2012 avec une préface inédite de José Saramago)

 

 

 

A lire le titre de ce mini-roman, on pourrait croire à une aventure fictive racontant la "découverte" de l'Amérique par les Turcs dans une réalité alternative où ce ne sont pas Colomb et Vespucci qui se disputeraient "l'invention" de l'Amérique mais quelque troupe d'aventuriers levantine parvenue Dieu sait comment sur les rivages du nouveau continent. Mais non : La découverte de l'Amérique par les Turcs imagine l'aventure de deux Turcs ("ainsi appelle-t-on les immigrants venus de pays ottomans tels que la Syrie ou le Liban") au Brésil, terre d'immigration où s'établirent effectivement des "Turcs" à l'orée du XXe siècle. Nous sommes donc au début du XXe et Raduan Murad et Jamil Bichara arrivent au Brésil où le cacao attire nombre d'aventuriers rêvant de fortune. Le contexte n'a rien de fantaisiste et Jorge Amado nous conte là une histoire qui peut fort bien s'être déroulée. Histoire au demeurant troussée avec truculence et vivacité, en forme de parabole ou de conte à peine cruel dans lequel Allah et Jéhovah veillent sur le destin de leurs sujets - même si leurs voies sont impénétrables et que les moyens qu'ils utilisent suscitent la curiosité et la perplexité de certains personnages, à l'occasion. 

Rendons la parole à José Saramago qui, dans sa préface, a bien raison en parlant de "délicieux petit livre dont le titre - La découverte de l'Amérique par les Turcs - mobilisera immédiatement à coup sûr l'attention du lecteur le plus apathique. On y relate en principe l'histoire de deux Turcs, Raduan Murad et Jamil Bichara qui n'avaient rien de turc, nous dit Jorge Amado, car ils étaient des Arabes qui avaient décidé d'émigrer en Amérique pour y conquérir argent et femmes. Très vite, toutefois, l'intrigue, qui semblait promettre une unité narrative, se subdivise en plusieurs autres histoires où apparaissent des dizaines de personnages, hommes brutaux, putassiers et ivrognes et femmes aussi assoiffées de sexe que de bonheur domestique, le tout dans le cadre géographique d'Itabuna, à Bahia, où Jorge Amado (une coïncidence ?) a justement vu le jour. Ce roman picaresque brésilien n'est pas moins violent que son équivalent ibérique. Nous sommes sur une terre de brigands, de plantations de cacao qui étaient des mines d'or, de querelles tranchées à coups de couteau, de caïds sans foi ni loi qui exercent un pouvoir dont personne ne sait d'où il leur vient, de lupanars où les prostituées sont disputées comme les plus pures des épouses. Ces gens ne pensent qu'à forniquer, qu'à accumuler argent, maîtresses et beuveries. Ils sont tous voués, le jour du Jugement dernier, à la condamnation éternelle. Et pourtant... Et pourtant, tout au long de cette histoire turbulente et répréhensible, on respire (à la grande perplexité du lecteur) une sorte d'innocence, aussi naturelle que le vent qui souffle ou l'eau qui coule, aussi spontanée que l'herbe qui pointe après une averse." (Préface traduite du portugais par Geneviève Leibrich) 

José Saramago exagère sans doute un brin car le contexte qu'il décrit est surtout présent en toile de fond et il ne faut pas s'attendre à ces combats au couteau ni à des luttes épiques entre propriétaires, mais il saisit en quelques phrases la tonalité ambivalente du roman de Jorge Amado. Celui-ci s'est occupé ailleurs (dans Cacao, par exemple) de peindre les plantations de cacao ; dans La découverte..., il semble plutôt lâcher la bride à sa plume et se concentre sur une galerie de personnages qui, dénués de véritable méchanceté, composent pour le lecteur amusé et rapidement séduit une histoire faite de désespoir et d'espérance, dont l'issue demeure sujette à surprises jusqu'aux deux chapitres ultimes. La découverte de l'Amérique par les Turcs s'offre comme un "mini-roman" qui éclairerait, brièvement et sur un mode presque humoristique, l'une des marges de Cacao et des romans épiques d'Amado. (Dans Cacao, au chapitre "Droit pénal", le narrateur évoque "les filles des commerçants arabes" de Pirangi, comme il évoque, ailleurs, la ville d'Itabuna : La découverte de l'Amérique par les Turcs de prendre ce chemin de traverse, soixante après Cacao.) 

On laissera le lecteur curieux d'y aller voir (ce qu'on lui conseille) en lui livrant le sous-titre (et même les deux sous-titres) de ce mini-roman : La découverte de l'Amérique par les Turcs, ou Comment l'Arabe Jamil Bichara, défricheur de terres vierges venu en la bonne ville d'Itabuna pour satisfaire aux nécessités du corps, s'y vit offrir fortune et mariage, ou encore Les fiançailles d'Adma

TLP

 

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