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25 août 2012 6 25 /08 /août /2012 16:41

PAWANA de Jean-Marie Gustave Le Clézio

Gallimard 1992, 1995, 1999

 

Le Clézio - pawanaPawana en indien nattick signifie baleine. Le récit de J.M.G. Le Clézio s’inspire de l’histoire vraie de Charles Melville Scammon, un baleinier qui découvrit une lagune où les baleines mettaient au monde leurs nouveau-nés, au Mexique. Etant venu y chasser les baleines, Scammon réalisa le crime qu’il était en train de commettre et se consacra dès lors à la sauvegarde des baleines. Celles-ci purent de nouveau venir dans la lagune et y mettre au monde leurs petits. Pawana, le récit de Le Clézio, se partage entre les voix de Scammon et de John, un garçon venu de Nantucket, sur la côte est des Etats-Unis, et qui participa à la première expédition de Scammon dans la lagune. L’un et l’autre se souviennent de cette expérience, mais aussi du monde tel qu’il était alors. C’était l’entrée dans un nouveau siècle, la fin de ce qui avait été jusque là. Le massacre des baleines raconté par Le Clézio est donc lourd du sentiment de perte qui caractérise non pas seulement le sort des baleines mais l’évolution du monde. C’est un récit mélancolique et beau à la fois : car l’écrivain restitue aussi la beauté de ce monde perdu, qu’il qualifie de monde des origines. Comment peut-on tuer ce que l’on aime ? semble demander le regard du jeune garçon au baleinier. Comment ose-t-on aimer ce que l’on a tué ? s’interroge à son tour le commandant Scammon. L’évocation de Pawana est celle d’amoureux de la mer, pénétrés du charme du « monde perdu » qu’ils découvrent, et ce charme côtoie l’horreur de la chasse aux baleines. Aux montagnes rougies par le soleil répond la mer de sang, dans un chant de douleur qui dit ce que l’on a perdu, et la peine d’avoir attenté à la beauté du monde. Le récit alterne ainsi les descriptions d’un paysage encore inviolé par l’homme et la narration des violences perpétrées dans ce décor. Le retour de John de Nantucket dans la lagune, des années plus tard, et de Scammon lui-même, oppose à la nature vierge de la première description celle, violentée, brutale, assassine de ce qu’est devenu le lieu envahi par les baleiniers du monde entier, les habitations et les usines de l’homme.

John de Nantucket se souvient aussi d’une Indienne qu’il a connue à l’époque de sa première expédition. Enlevée à ses collines natales, mêlée aux prostituées d’un port de pêche et devenue la maîtresse de son geôlier qui la bat et finira par la tuer, l’Indienne, Araceli, est elle aussi le symbole de la terre innocente et violée. Araceli toutefois n’est pas son nom : c’est celui que lui a donné son meurtrier. Nommer devient ainsi la marque de la prise de possession : à la fin du récit, Charles Melville Scammon se prend à rêver que la lagune qu’il découvrit ne porte plus de nom, ce qui serait la preuve qu’elle aurait retrouvé la pureté que l’homme lui a ôtée.

Récit simple, Pawana dénonce la violence de l’homme et chante la beauté et la pureté du monde. En donnant la parole à deux personnages, Le Clézio fait entendre deux voix, celle d’un pêcheur simple, sensible surtout à ses propres souvenirs, qu’il transporte avec lui sur les lieux où il a vécu, et celle d’un baleinier dont l’esprit perçoit, au-delà de lui-même, la beauté de ce qu’il voit et la cruauté de ce qu’il a fait. 

Thierry LE PEUT

En lire plus :

- sur le lagon de Scammon, découvert en 1852, sanctuaire des baleines grises de Basse-Californie

- sur Charles Melville Scammon, l'homme et le personnage de Le Clézio, à travers le texte J.M.G. Le Clézio : Dans la forêt des paradoxes, par Keith Moser et Bruno Thibault

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